18.11.2024
Pourquoi l’Australie a peur de la Chine
Presse
30 septembre 2021
Il y a dix ans à peine, la relation bilatérale était excellente, avec une Australie dépendante pour l’exportation de ses denrées alimentaires et une Chine établie depuis longtemps sur place dans le domaine des minerais. Depuis, la collusion avérée d’une partie de la classe politique australienne avec la Chine a mis le feu aux poudres. La crispation des relations entre la République populaire et les États-Unis a aussi sa part, l’Australie étant liée aux Américains par d’importants accords militaires, dont le Quad, qui organise depuis 2007 avec l’Inde et le Japon une sorte d’« endiguement » de l’extension de la Chine dans la zone indopacifique. L’Australie est donc aux avant-postes d’une logique de confrontation que l’on voit monter en puissance depuis quelques années. Il se rajoute, en fond de tableau, un atavisme anti-asiatique présent depuis longtemps.
Quel impact a cette xénophobie alors que la diaspora chinoise est importante en Australie ?
C’est un vieux tropisme de la société australienne, qui s’est longtemps considérée comme exclusivement blanche, dans le droit fil de l’ancien pouvoir colonial britannique. L’installation de plus d’un million de Chinois – pour une population totale de 25 millions – a provoqué une forte crispation. C’est révélateur d’une identité que se cherche encore la société australienne. Se sent-elle proche de l’Europe, des États-Unis ou de l’Asie ? Géographiquement, l’Australie est beaucoup plus proche de la Chine que du Royaume-Uni, donc les Australiens découvrent – avec dépit pour les plus radicaux – que les pays asiatiques comptent bien davantage pour eux que l’Occident.
L’accusation par Pékin d’une immixtion dans le conflit sino-taïwanais a-t-elle aussi pesé ?
Cela va au-delà. Tout le monde s’accorde sur le fait que la Chine ne respecte pas les principes internationaux du droit maritime et se place dans une sorte de logique « impériale » qui ne tient compte ni des frontières, ni de la souveraineté des États. Le problème de l’accessibilité des détroits et des zones maritimes essentielles de passage du fret international concerne aussi bien l’Australie que nombre de pays riverains de la Chine et les pays occidentaux. Il s’agit d’une confrontation de valeurs et de perception par rapport à la question du droit.
Cette crise sino-australienne est aussi l’illustration d’un phénomène important perceptible ailleurs : le découplage de plus en plus systématique entre enjeux économiques et enjeux stratégiques. La tension entre ces deux pôles est extrêmement dangereuse du point de vue de l’historien. On avait la même configuration en 1913. Il n’y avait alors jamais eu autant d’échanges économiques entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, et pourtant, quelques mois plus tard, c’était la guerre ! Cette quasi-schizophrénie est extrêmement inquiétante.
La crise des sous-marins ne vous semble donc pas une si mauvaise chose pour la France ?
Si l’on met de côté, bien sûr, la perte économique, je dirais presque que c’est un mal pour un bien. Les Américains veulent entraîner les Australiens, et toute la région, dans une confrontation avec la Chine. Nous n’avons aucun intérêt à ce que la France soit embarquée dans cette histoire, même si nous sommes concernés par ce projet de l’Indopacifique étant donné nos territoires d’outre-mer. La superficie de la seule Polynésie française est plus importante que celle de toute l’Union européenne ! Mais nous n’avons pas les moyens militaires de contrôler seuls cette immense région. L’Indopacifique devrait être défini autrement, comme un projet, malgré tout, de coopération économique avec la Chine. En tout cas, cet échec français montre bien que l’avenir de la France sur le plan militaire est européen, pas avec l’Australie et des pays lointains. Il faut plutôt s’associer avec d’autres dans une logique qui ne soit pas guerrière, trouver une troisième voie.
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Propos recueillis par Isabelle Souquet pour Témoignage chrétien
* Emmanuel Lincot est l’auteur de La Chine face au monde : une puissance résistible avec Emmanuel Véron (Capit Muscas Éditions, 144 p.) et de Chine et terres d’islam, un millénaire de géopolitique (PUF, 348 p., à paraître).