ANALYSES

Flambée des prix du gaz : quels ressorts géopolitiques ?

Interview
30 septembre 2021
Le point de vue de Francis Perrin


Partout en Europe les factures de gaz augmentent et il semble difficile de stopper cette flambée des prix dans l’immédiat. Si le rôle de la Russie est pointé du doigt par certains, quelles mesures l’Europe peut-elle prendre pour lutter contre la flambée des prix ? Le point avec Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels sont les facteurs expliquant l’augmentation des prix du gaz partout en Europe ? Cette flambée s’inscrit-elle sur le long terme ?

L’augmentation des prix du gaz naturel est mondiale, mais l’Europe est effectivement particulièrement touchée. Les causes de cette hausse sont notamment liées à la demande, à l’offre et aux stocks. Après la récession de 2020, l’économie mondiale est repartie très fort dans une dynamique de croissance et le soutien de celle-ci implique de consommer beaucoup plus d’énergie cette année qu’en 2020, y compris du gaz naturel. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dans son dernier Gas Market Report, la demande mondiale de gaz pourrait augmenter de 3,6% en 2021 après une baisse de 1,9% en 2020. Avec 4 070 milliards de mètres cubes cette année, elle dépasserait donc son niveau de 2019 et atteindrait un niveau record. La hausse se poursuivrait au cours des années suivantes, mais à un rythme ralenti. Face à cette forte demande, l’offre est à la peine. La pandémie de Covid-19 a laissé des traces et les investissements ont été réduits, ce qui est logique au regard de la baisse de la consommation et des prix de l’an dernier. Mais, tout cela a un prix. Outre les suites de 2020, certains pays producteurs éprouvent quelques difficultés temporaires. On peut penser aux États-Unis, premier producteur mondial de gaz devant la Russie, qui ont été frappés par l’ouragan Ida. Celui-ci a balayé le golfe du Mexique, une importante zone de production d’hydrocarbures, à la fin août et la situation n’est pas revenue complètement à la normale plusieurs semaines après. Les stocks gaziers sont à des niveaux relativement bas en Europe suite à un hiver 2020-2021 assez long et froid. Ces stocks doivent être reconstitués à l’approche de l’hiver, ce qui implique des achats supplémentaires de gaz et contribue à pousser les prix à la hausse. Enfin, l’Europe reçoit moins de cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL) transportées par bateaux du fait de l’attractivité du marché asiatique.

Quelle analyse faites-vous des accusations à l’encontre de Moscou, soupçonnée de faire de la rétention de gaz pour faire monter les prix ? Entre pression pour lancer Nord Stream 2 et la possibilité pour l’Europe de se tourner vers d’autres fournisseurs, dans quelle mesure Moscou profite-t-elle de cette montée des prix ?

L’AIE a souligné que la Russie respectait les contrats gaziers qu’elle a conclus avec l’Europe, mais a ajouté que ses exportations de gaz étaient inférieures à leur niveau de 2019. Cette agence, qui est liée à l’OCDE et qui regroupe 30 pays, a clairement indiqué que la Russie pouvait faire plus et l’a vivement engagée à le faire dans cette période tendue. Plusieurs explications peuvent être avancées. Moscou aurait pu : vouloir montrer que le Nord Stream 2, un gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique, est indispensable ; profiter de prix du gaz élevés ; « punir » les Européens de tenter de diversifier leurs approvisionnements gaziers et de développer des projets d’importation de GNL ; et se réjouir de l’incohérence de l’Union européenne qui crie haro sur les énergies fossiles, dont le gaz naturel fait partie, et qui, en même temps, réclame plus de livraisons de cette source d’énergie dont elle prétend vouloir se débarrasser. Dans toutes ces hypothèses, on peut penser que les dirigeants russes et Gazprom ne sont pas mécontents de la situation actuelle du marché gazier. La Russie est un géant gazier avec les plus grosses réserves prouvées, une production qui la classe au deuxième rang mondial derrière les États-Unis et la place de premier exportateur mondial. Le porte-parole du Kremlin vient de préciser que la Russie était prête à accroître ses exportations vers l’Europe, mais il reste à voir ce qu’il en sera vraiment dans les faits et, si oui, dans quel délai.

On voit qu’aux États-Unis, Joe Biden a gelé l’augmentation des prix. Quelles mesures l’Europe peut-elle prendre pour lutter pour lutter contre la flambée des prix ?

Les États-Unis sont le premier producteur mondial de gaz naturel et ce pays est devenu un exportateur net de gaz alors que l’Union européenne produit peu de gaz. De plus, sa production est sur le déclin (-60% sur les dix dernières années) et cette région est massivement importatrice, y compris de GNL venant des États-Unis. L’Union européenne est donc beaucoup plus soumise aux fluctuations des marchés gaziers mondiaux et de ce qui se passe à l’extérieur de ses frontières. Certains pays européens ont déjà commencé à prendre des mesures nationales pour aider les ménages et/ou les entreprises à faire face à la hausse de leurs factures à un moment, délicat politiquement, où les prix des carburants et ceux de l’électricité sont également à la hausse. On peut penser notamment à la France, avec l’augmentation du chèque énergie, et à l’Italie. Désireuse d’encadrer ces mesures portant sur la fiscalité ou sur des subventions ou sur des aides à certains secteurs, la Commission européenne devrait prochainement communiquer sur ce qu’il est possible ou pas de faire dans ce domaine. Mais, dans le court terme, les marges de manœuvre de l’Union européenne ne sont pas immenses.
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