18.11.2024
Vers une nouvelle révolution culturelle en Chine ?
Presse
19 septembre 2021
La Chine de ces quarante dernières années était régie par la trilogie « travail, famille, patrie ». Les nouvelles générations aspirent à d’autres choses. C’est plutôt « plaisir, individualisme, écologie » qui devient la tendance avec des refus nets de se sacrifier comme l’avaient fait les générations précédentes. Une partie de la jeunesse chinoise aspire à « rester allongée », une nouvelle philosophie de vie et de travail baptisée « tang ping », bien visible sur les réseaux sociaux, et qui fait de plus en plus d’adeptes. En contradiction directe avec la politique productiviste du président Xi Jinping, attaché à l’image construite d’une rude éthique du travail, ce phénomène constitue de facto une forme de résistance passive. J’y vois aussi une crise de confiance vis-à-vis du régime qui n’a pas su protéger la population contre un coût de la vie de plus en plus cher, des injustices sociales et des écarts de salaires tels qu’un très grand nombre de Chinois disent « à quoi bon ». Et puis, nombreux sont ceux à pointer la contradiction : on nous exhorte à travailler mais nous n’avons pas le temps d’en profiter. Sans compter que beaucoup n’ont que des moyens financiers très limités. On estime à 600 millions le nombre de Chinois qui ne perçoivent que l’équivalent de 130 euros par mois. Que cela signifie-t-il ? Que la société souhaite aussi un peu ralentir de rythme. Ce dernier a été frénétique en termes de développement, de recompositions de styles de vie. La Chine a été brutalisée et beaucoup de gens veulent entendre parler d’autres choses que de croissance. Ils veulent donner du sens à leur vie. Est-ce le fait du hasard si autant se convertissent à l’islam ou au christianisme ? Evidemment non. Il y a donc un décalage de plus en plus saisissant entre le discours du régime, ses objectifs stratosphériques de dépassement économique et les gens de modestes conditions voire la classe moyenne qui savent de toute façon que les trente glorieuses (1978-2008), c’est fini et que la rivalité avec les Etats-Unis, dont le modèle continue à séduire, n’augure rien de bon.
La classe moyenne chinoise grandissante semble être en quête de loisirs et de temps libre. L’État chinois ira-t-il dans le sens des protestataires ? Pourrions-nous assister à une nouvelle révolution culturelle ?
La Chine a moins besoin d’une nouvelle Révolution culturelle qu’un accord de type « Grenelle ». C’est-à-dire une véritable redistribution et des changements de structures : impôts sur les successions (inexistants à ce jour alors qu’ils ramèneraient la possibilité d’une véritable égalité devant la fortune), prélèvements des impôts sur le revenu à la source pour qu’un minimum garantie emploi soit assurée et que les retraites d’une population dramatiquement vieillissante soit assurée, possibilité pour les salariés de bénéficier davantage de temps libre prévu et garanti par la législation car le repos – et cela est démontré – permet par ailleurs une meilleure productivité…. Bref, il faudrait une révolution copernicienne sociale et courageuse et non des effets d’annonce idéologiques et démagogiques. Evidemment, Xi Jinping n’entreprendra rien de tout cela un an avant le XX° Congrès. Cela le rendrait, sur certains de ces sujets jugés trop sensibles, beaucoup trop impopulaire. Mais à force de procrastiner, la Chine accumule des retards graves et le conservatisme que Xi Jinping incarne pourrait se retourner contre lui. La situation économique, sociale et politique (avec une contestation de plus en plus grande des choix du Président au sein même du politburo) est très préoccupante.
Dans le même temps, l’Etat imposes ses vues ultra-conservatrices sur l’industrie du divertissement en interdisant par exemple les « hommes efféminés ». Ces courants contraires peuvent-ils créer un conflit culturel ?
C’est révélateur d’une chose : le régime entame une fuite en avant et s’attaque à des problèmes marginaux. C’est un aveu de faiblesse. Les véritables défis qui mériteraient d’être relevés, c’est un relâchement du contrôle sur les hommes d’affaires les plus innovants et le fait de s’attaquer à la question des retraites, du système de santé, des impôts comme je l’ai dit plus haut… Nous n’en prenons pas le chemin et les déclarations bellicistes du régime montrent que celui-ci est sur la brèche et ne sait comment agir pour entreprendre les réformes qui s’imposent. Le paradoxe c’est que l’opinion était a priori apolitique depuis Tiananmen (1989). Elle est en train aujourd’hui de se politiser et pourrait en effet à terme prendre le chemin de la contestation pour se faire entendre d’un régime qui, dans les faits, est de plus en plus autiste.
Propos recueillis par Atlantico.