L'édito de Pascal Boniface

« Au-delà du mirage » – 4 questions à Etienne Copel

Édito
17 septembre 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
Etienne Copel avait défrayé la chronique lorsqu’il avait démissionné de l’Armée de l’air en 1984 et publié un livre choc « Vaincre la guerre » qui critiquait sur de nombreux points la posture de défense de la France. Major de l’Ecole de l’air et de l’Ecole supérieure de guerre, il était devenu le plus jeune général de France. Si on peut ne pas partager toutes les opinions de l’auteur, son intégrité et sa sincérité sont indiscutables. Avec « Au-delà du mirage », paru aux éditions Favre, il nous offre un livre passionnant, de ses mémoires où il revient sur les sujets essentiels à son regard sur les enjeux sécuritaires.

Vous êtes toujours favorable à l’énergie nucléaire mais réticent face à la dissuasion alors que vous avez largué une bombe atomique sur Mururoa…

Il n’y a plus de contestation sérieuse de la relation directe entre la combustion des énergies fossiles, la hausse de l’effet de serre et le dramatique réchauffement de la planète. Alors tout ce qui crée de l’énergie sans rejeter de gaz carbonique est bon à prendre. Le nucléaire a cette caractéristique, sachons en profiter. L’urgence climatique est telle qu’il faut faire feu de tout bois. Certes le nucléaire a ses défauts mais son rejet systématique n’est pas raisonnable. Même les problèmes posés par les déchets sont minimes par rapport aux désastres que causent et vont causer la hausse des températures, en particulier au sein des pays les plus pauvres de la Terre.

Oui, j’ai largué une bombe atomique au-dessus du Pacifique, je n’en suis pas honteux. Il fallait montrer que la technologie française devait être prise au sérieux. Suis-je aujourd’hui réticent face à la dissuasion ? En fait je suis toujours persuadé qu’il est plus difficile d’attaquer ou de faire chanter un pays nucléaire qu’un pays qui ne l’est pas. Donc, je ne rejette pas en bloc toute forme de dissuasion nucléaire. En revanche, j’estime qu’il ne faut pas « en rajouter ». Il n’est absolument pas nécessaire de moderniser sans cesse notre arsenal. C’est contraire à l’esprit du TNP (Traité de Non-Prolifération nucléaire) et cela prive nos armées de ressources financières qui pourraient être plus utiles ailleurs. En particulier, pour nos forces d’intervention face aux terroristes islamistes en Afrique.

Vous avez attiré l’attention il y a juste 30 ans sur le risque représenté par les centrales nucléaires face au terrorisme, aujourd’hui par les barrages…

Oui, en 1991, dans « Le Nécessaire et l’Inacceptable », j’ai expliqué qu’on avait besoin de l’énergie nucléaire en raison des dommages à prévoir avec la hausse de l’effet de serre (le nécessaire) mais aussi qu’il fallait craindre les conséquences d’éventuelles attaques terroristes (l’inacceptable). Aujourd’hui, mes craintes sont bien moindres : les réacteurs refroidis au sodium ont été arrêtés, des gendarmes armés se trouvent à l’intérieur du périmètre des centrales et surtout « grâce » au 11 septembre 2001, les détournements d’avion par des pilotes suicides sont devenus beaucoup plus compliqués. L’EPR est même complètement protégé contre la chute d’un avion aussi gros soit-il.

Restent les barrages. Je ne veux pas contribuer à des craintes inutiles mais quelques barrages sont vulnérables à une attaque terroriste, certes difficile à mettre en œuvre mais pas plus que celles dont les Américains ont été victimes à New-York et Washington. Le plus rageant est que protéger cette poignée de barrages est simple et relativement peu coûteux.

Pensez-vous que la défense civile est insuffisamment prise en compte ?

Depuis que Maurice Schumann m’a appelé au Haut Comité pour la Défense Civile de nombreux progrès ont été réalisés. En particulier en ce qui concerne les feux de forêts. Mais il reste énormément à faire. Par exemple pour mieux préparer les populations aux conséquences d’attaques chimiques ou d’épandage de produits radioactifs.

Le plus à redouter me semble aujourd’hui la crise terroriste longue. Si, un jour, une usine chimique est attaquée, si un relais de transmission est saboté, si une voie ferrée est déboulonnée dans un tunnel, si un préfet est assassiné  … et si les attaques se répètent, le gouvernement voudra naturellement  protéger pendant des mois des multitudes de points sensibles et encadrer les nombreuses victimes de ces attaques. Or, depuis la fin du service militaire, la France n’a plus de réservistes en nombre suffisant pour faire face à toutes ces menaces.

C’est pourquoi je défends fermement le « service d’un mois » proposé par le président Macron dans la mesure où il lui donne une composante militaire marquée. L’idée serait de s’inspirer des « classes » du service militaire d’antan pour former en peu de temps non pas des combattants aptes à guerroyer Outre-mer, mais des hommes et des femmes capables d’être des sentinelles autour des points sensibles et des intervenants de première urgence en cas de catastrophe, naturelle ou non.

Vous préconisez des armes nucléaires tactique de puissance raisonnable et de grande précision. Mais n’y a-t-il pas le risque de faire des armes nucléaires non plus des armes de dissuasion mais des armes d’emploi ?

Notons d’abord que les apôtres de « La Dissuasion » avec un grand D, me font plutôt sourire lorsque, tout en fustigeant les Présidents supposés incapables « d’appuyer sur le bouton » ils se vantent de mettre en œuvre une arme de « non-emploi ». Comment peut-on faire peur, comment peut-on dissuader en affirmant que la menace que l’on brandit n’est pas faite pour être employée ?

En matière de dissuasion, la crédibilité est la qualité première. C’est pourquoi pendant la guerre froide je pensais que la menace d’emploi de nos armes contre les villes soviétiques n’était pas suffisante pour nous protéger, tant le passage à l’acte, ignorant les représailles massives qui suivraient, était peu plausible. C’est, comme je le signale dans mes souvenirs, ce que m’a clairement confirmé le Président Giscard d’Estaing.

En revanche, il me semble tout à fait crédible de dire à une puissance moyenne qui menace un pays ami d’une attaque nucléaire : « Si vous lancez une attaque atomique contre tel ou tel allié de mon pays je répliquerai sur vos forces avec le même type d’armes. »  Si je ne dispose que de bombes vingt fois plus puissantes que celle d’Hiroshima, il est peu probable qu’on me croirait car elles feraient trop de morts parmi la population civile. Mais s’il s’agit d’une arme de quelques kilotonnes capable de raser un aérodrome sans répercussions notables sur les villes avoisinantes je serais bien plus crédible je serais beaucoup plus dissuasif.

Ainsi, avec une arme nucléaire de faible puissance et de haute précision, un Président pourrait dans certains cas faire respecter les engagements de la France et protéger la paix.
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