17.12.2024
Ces entreprises occidentales qui continuent à se rendre complices de la féroce répression par la Chine de ses opposants politiques
Presse
10 septembre 2021
Concernant l’artiste Ai Weiwei nul ne peut dire à ce stade si les banques suisses ont subi des pressions du gouvernement chinois à son encontre. La seule chose que l’on sache c’est que l’artiste a exposé en Suisse et collaboré avec les architectes Herzog et de Meuron pour la réalisation du fameux Bird’s nest en vue des Jeux Olympiques de Pékin de 2008. Ai Weiwei a donc des contacts en Suisse. C’est un pays qu’il connaît. Alors pourquoi cette décision que l’artiste a d’ailleurs pris sur le mode de la dérision, lui, qui chaque année, se voit un peu plus censuré par le gouvernement chinois (Ai Weiwei pourtant présent dans la collection de l’ancien ambassadeur de Suisse Uli Sigg, ne sera pas exposé au M+ de Hong Kong…) ? Nul ne peut le dire d’une manière concrète à ce jour sans spéculer. Ce que je me garderais bien de faire.
Toutefois, et pour répondre à votre question, les liens entretenus par les banques suisses avec la Chine sont importants. De même que les relations diplomatiques entre la Confédération et la Chine. Ainsi, la Suisse est devenue le quatrième pays européen à avoir rejoint les Nouvelles Routes de la soie. Berne espère de cette coopération un avantage compétitif face à la France et à l’Allemagne sur le plan des exportations. En contrepartie, Pékin cherche aussi à accroître la puissance de sa monnaie et à intensifier sa puissance financière en coopérant avec un Etat financier influent. Dès 2018, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial de la Confédération, après l’Allemagne et les Etats-Unis mais devant la France. La Suisse a été d’ailleurs l’un des premiers pays du Vieux Continent à signer en 2013 un accord de libre-échange (entré en vigueur en 2014) avec la République populaire. Et elle ne peut que s’en féliciter : c’est même l’un des rares pays au monde dont la balance commerciale dégage un solde positif dans ses échanges avec la nouvelle super-puissance : plus de 15 milliards de Francs suisses (CHF) (soit 13,5 milliards d’euros). En comparaison, la France accuse un déficit commercial d’environ 30 milliards d’euros avec Pékin. La seconde contrepartie concerne la finance internationale et la monnaie. Grand rival commercial des Etats-Unis, Pékin souhaite contourner l’obstacle que représente à ses yeux le dollar qui règne en maître sur le commerce international. D’où les bonnes relations que Xi Jinping entretient avec la Confédération. Elles apportent à Pékin de l’influence, notamment auprès des organisations internationales (Organisation des Nations unies, mouvement olympique…) et du secteur de la finance. Les fondements de ces liens sino-suisses reposeraient alors sur des transferts économiques contre l’expertise et le réseau suisse, ainsi que sa crédibilité et sa légitimité au sein de la communauté internationale.
En asseyant la crédibilité de sa monnaie auprès des places financières de stature mondiale que sont Genève et Zurich, les banques chinoises peuvent aussi embaucher des experts locaux et mieux s’intégrer dans le système financier international. Ainsi, le recrutement de cadres recrutés par UBS en Chine n’a cessé d’augmenter. Placements offshore d’une clientèle chinoise très fortunée et marché onshore (qui regroupe les avoirs déposés en Chine), et qui constitue en quelque sorte une nouvelle frontière de la gestion de fortune émanant de de l’expansion de la classe moyenne (son patrimoine cumulé devrait croître de quelque 3000 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années) sont les deux axes principaux des activités bancaires suisses dans leurs rapports avec la Chine.
Que ce soit sur le territoire chinois ou depuis l’étranger, quelles autres entreprises occidentales ont pu fermer les yeux sur la répression chinoise pour poursuivre ou faire croître leur activité ?
Nombreuses sont les entreprises occidentales, notamment les fabricants de vêtements de marque et les entreprises agroalimentaires, à se retrouver impliquées, parfois malgré elles, dans des chaînes de recrutements de leurs personnels le plus souvent opaques, et qui échappent à leur contrôle ; elles-mêmes étant poussées par leurs partenaires chinois dont les activités sont orientées par le Parti. Adidas, H&M, Kraft Heinz, Coca-Cola et Gap figurent parmi ces multinationales que l’on trouve au bout de longues chaînes logistiques, qui transitent par la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, par exemple. Une chose demeure cependant : « L’argent n’a pas d’odeurs » et le capitalisme international s’embarrasse bien peu de morale. Il est d’ailleurs intéressant de constater que si le découplage industriel qu’appellent de leurs vœux gouvernements américains et japonais commence à se ressentir dans le domaine des microprocesseurs, dans les autres secteurs d’activités, cela reste en revanche beaucoup plus difficile. Nous assistons par conséquent à une séparation de plus en plus nette entre des intérêts économiques qui semblent souscrire à la norme d’un business as usual d’une part et des enjeux stratégiques entre la Chine et l’Occident de l’autre qui, eux, sont diamétralement opposés. C’est de cette tension que peut émerger le pire. C’est-à-dire la guerre.
La mobilisation contre l’utilisation de la main d’œuvre ouïghoure par certaines marques de vêtement montre-t-elle que les consommateurs ont leur rôle à jouer ?
C’est avant tout symbolique. Les entreprises incriminées s’implanteront ailleurs. Au Bangladesh ou en Birmanie. Cette mobilisation a un impact sur les opinions occidentales dans l’immédiat mais l’enjeu le plus structurant ne se situe évidemment pas à ce niveau dans le rapport de forces qui oppose désormais la Chine à l’Occident.
Propos recueillis par Atlantico.