12.11.2024
Union européenne : la « nécessaire » création d’une force militaire commune en discussion
Presse
6 septembre 2021
La France a fait cette proposition d’une force dite de « de première entrée » de 5.000 hommes, en juin dernier, avant les événements de Kaboul. Cette option envisagée n’est donc pas liée à la situation afghane puisqu’elle était sur la table auparavant. Mais il s’avère effectivement qu’elle serait adaptée à la poursuite du pont aérien à Kaboul.
Un Conseil européen des Affaires étrangères se tiendra le 16 novembre. Il s’agira de savoir, à ce moment-là, si oui ou non, on décide de faire figurer la proposition de force de « première entrée » dans la « boussole stratégique. » La condition est que l’ensemble des Etats y soient favorables. Il faudra ensuite vérifier que l’on dispose bien des capacités nécessaires pour l’instituer. Et par capacités nécessaires, j’entends des capacités totalement autonomes, de sorte qu’on ne doive pas faire appel aux Etats-Unis. Si elle est adoptée, il y aura tout un travail d’inventaire des forces en présence pour voir si les capacités sont suffisantes pour la créer ou s’il faut développer des capacités complémentaires.
En quoi cette force de « première entrée » diffère-t-elle des autres initiatives européennes en la matière, à l’instar des groupements tactiques 1500 (GT 1500), et pourquoi est-elle nécessaire ?
La force de « première entrée » répond à des scénarios de crise plus importants que ceux des GT 1500. Ceux-ci sont voués à des réactions rapides mais diligentées par les Nations unies. Le terme de « première entrée » signifie qu’on aura à disposition des capacités plus importantes, notamment, par exemple, en termes d’aviation de combat. Elle doit répondre à des scénarios d’engagement de haute intensité. A ce niveau-là, il y a quand même un besoin réel.
Quelles sont, s’il en est, les réticences à la création d’un tel corps d’intervention commun ?
Les discussions en cours sur la force « de première entrée » portent plus sur des aspects techniques que politiques. Concrètement, il existe déjà un certain nombre d’initiatives au niveau européen qui ne fonctionnent pas, à l’instar des groupements tactiques 1500 créés en 2004 (initiative franco-britannico-allemande) et composés de 1.500 hommes.
Les réticences portent plus sur cet aspect que sur l’initiative politique en tant que telle. Si on ne règle pas le problème déjà existant, on va rajouter une couche de force sans pour autant qu’elle ne soit plus efficace. La question que certains se posent est : « Est-ce que ce n’est pas simplement un gadget ? ».
Comment expliquer les entraves dans l’utilisation de ces groupements tactiques, qui n’ont jamais été utilisés depuis leur création ?
Le fait est qu’ils ont été conçus de manière assez rigide avec un système de rotation tous les six mois. Certains pays disposent de groupements tactiques bilatéraux voire trilatéraux. Or, une crise est toujours politique avant d’être militaire. Il faut tout simplement que les pays décident d’engager leurs troupes sur le terrain. Vous pouvez très bien disposer d’un groupement tactique en état d’alerte, mais si le pays qui fournit les soldats à ce groupement décide de ne pas s’engager, alors ce groupement ne peut pas être utilisé. En outre, il y a, au fond, très peu d’opérations militaires de la politique de sécurité et de défense commune depuis plusieurs années.
Ce projet a-t-il de réelles chances de concrétisation ?
Nous verrons le 16 novembre. Mais je pense que oui. On voit mal comment, politiquement, on pourra s’opposer à cette proposition. Il y aura des réticences, pas totalement injustifiées, il faut bien le reconnaître. Mais une telle capacité s’avère néanmoins nécessaire. D’autant que la politique de défense et de sécurité commune a besoin de quelque chose de visible. Ce manque de visibilité est un défaut de la ligne actuelle, notamment parce qu’on emploie, pour des raisons politiques, des termes qui sont incompréhensibles pour le commun des mortels. A commencer par celui de « boussole stratégique ».
Les récents événements à Kaboul peuvent-il servir de catalyseur à la création d’une force européenne efficiente ?
La « boussole stratégique » constitue en elle-même déjà un déclic. Mais depuis l’élection de Joe Biden et son mantra, « America is back » (« L’Amérique est de retour »), on sentait que l’appétence d’un certain nombre de pays européens était peut-être un peu moins grande. Cette situation sonne comme une piqûre de rappel. Dans certains cas, la politique de Biden n’est pas totalement opposée à celle de Donald Trump, à l’instar du retrait des troupes américaines d’Afghanistan. On est susceptible de devoir faire face à des comportements unilatéralistes de la part des Américains.
En l’occurrence, les Européens sont confrontés à ce cas de figure et cela doit les obliger à réfléchir à ce qu’ils doivent mettre en place de manière autonome. Il est sûr que tout ce qu’il s’est passé en Afghanistan depuis 20 ans, notamment ces derniers mois et la dernière décision de proroger le pont aérien au-delà du 31 août, doit conduire les Européens à se demander dans quelles circonstances ils seront obligés d’agir de manière autonome et quelles capacités sont nécessaire pour pour tel ou tel type de crise. Donc, effectivement, les événements de Kaboul peuvent être un déclic.
Doit-on y voir une volonté européenne de s’émanciper de la tutelle américaine voire otanienne ?
Théoriquement, cela n’a rien à voir avec l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). Il faut bien voir que la politique de sécurité et de défense commune, ce n’est pas la défense et la sécurité collective. Dans le traité de Lisbonne, il est inscrit que la sécurité collective est assurée par l’Otan, pour les Etats membres qui en font partie.
Au niveau européen, on fait de la gestion de crise. En gros, on traite de tout ce qui ne relève pas d’une attaque contre un Etat membre. Avec la politique de sécurité et de défense commune, on développe des capacités qui sont de facto utilisées au sein de l’UE et de l’Otan.
La question n’est pas celle de la tutelle de l’Otan mais véritablement celle de la relation transatlantique. Qu’est- ce que les Américains font ou ne font pas avec nous ? Quand ils ne veulent pas agir multilatéralement, il faut que l’on puisse intervenir au niveau européen. C’est là qu’on en revient à la force « de première entrée » et l’évacuation de Kaboul où nous devons prendre le relais.
Propos recueillis par Romain Sinnes pour TV5 Monde.