ANALYSES

Les élections fédérales allemandes de 2021 : quel programme pour le Parti social-démocrate (SPD) en matière de défense ?

Interview
3 septembre 2021
Le point de vue de Gaspard Schnitzler


À quatre semaines des élections fédérales allemandes (26/09), le candidat du Parti social-démocrate (SPD) et actuel ministre des Finances, Olaf Scholz, connaît un regain de popularité. Les derniers sondages outre-Rhin donnent le SPD en tête avec 23% d’intentions de vote, devant la CDU (22%) et les Verts (18%). À cette occasion, Gaspard Schnitzler, chercheur à l’IRIS, fait le point sur le programme des sociaux-démocrates en matière de défense et de sécurité.

Comment le SPD se positionne-t-il vis-à-vis des questions de défense et de sécurité ?

Centré sur les thèmes phares du parti, tels que l’emploi, la santé, la jeunesse, l’État de droit ou le changement climatique, le programme électoral du SPD (Das Zukunftsprogramm der SPD) ne consacre qu’une infime partie de ses 65 pages aux questions de défense et de sécurité (p. 61-64), sous le titre « Assurer la paix ». Cette partie ne se limite d’ailleurs pas aux questions de défense et de sécurité, le concept de sécurité extérieure du SPD englobant de manière très large aussi bien l’aide au développement et la lutte contre le changement climatique, que le contrôle des exportations d’armement et la modernisation de la Bundeswehr. Néanmoins, on y retrouve tous les principaux thèmes de défense sur lesquels sont attendus les candidats à la Chancellerie, notamment la question des drones armées, de la présence d’armes nucléaires sur le sol allemand, des exportations et du contrôle des armements, du positionnement vis-à-vis de l’OTAN et de l’objectif des 2%, ou encore des interventions extérieures de la Bundeswehr.

Symbole des divisions internes au SPD, entre une aile gauche fidèle aux valeurs historiques du parti et hostile à l’idée d’une coalition avec la CDU/CSU et une aile plus libérale incarnée par l’actuel ministre des Finances et candidat à la Chancellerie Olaf Scholz, le programme alterne entre références aux fondements de la politique sociale-démocrate et positionnements se voulant plus consensuels.

Ainsi, le SPD n’hésite pas à rappeler qu’il est LE « Parti de la paix » allemand (Friedenspartei), en référence aux mouvements pacifistes contre la guerre du Vietnam en 1968, puis contre l’installation de missiles balistiques américains Pershing II en Europe au début des années 1980, activement soutenus par les sociaux-démocrates. À ce titre, le programme électoral défend une politique de sécurité extérieure centrée sur « la diplomatie et le dialogue, la prévention civile des crises et la consolidation de la paix, le désarmement et le contrôle des armes, ainsi que la coopération internationale ». Pour autant, l’appartenance à l’OTAN, l’envoi de soldats allemands sur des théâtres d’opérations étrangers ou le budget alloué à la défense ne sont nullement remis en question.

Quelles sont les priorités en matière de défense mises en avant par les sociaux-démocrates dans leur programme électoral ?

Le programme du SPD en matière de défense s’articule autour de trois grandes thématiques : le rôle de la Bundeswehr, le positionnement vis-à-vis des alliances, ainsi que le contrôle des armements conventionnels et nucléaires.

Au sujet de la Bundeswehr, si les sociaux-démocrates défendent le primat de la diplomatie et de la politique, considérant que les conflits peuvent être remportés militairement mais jamais résolus de la sorte, ils reconnaissent tout de même la « contribution responsable » qu’apporte l’armée allemande au maintien de la paix et à la défense nationale, et n’hésitent pas à considérer les opérations extérieures comme une partie intégrante de la politique étrangère allemande. À ce titre, la modernisation de la Bundeswehr constitue l’une des priorités en matière de défense pour le SPD. Guidés par le principe « Ausrüstung statt Aufrüstung », soit littéralement « l’équipement plutôt que le réarmement », les sociaux-démocrates rejettent tout suréquipement mais considèrent qu’une Bundeswehr « bien équipée et moderne » est un prérequis dont dépend la crédibilité et la fiabilité de l’Allemagne vis-à-vis de ses partenaires de l’UE et de l’OTAN. Le ton se veut donc rassurant et le programme insiste sur le fait que le parti entend bien poursuivre les projets d’acquisitions structurants engagés ces dernières années par le gouvernement de coalition.

Concernant les alliances (UE/OTAN), le programme insiste sur l’importance du multilatéralisme et sur le rôle clé de l’OTAN, considéré comme un « pilier du partenariat transatlantique indispensable à la sécurité de l’Europe ». Pour autant, les sociaux-démocrates se disent favorables à un renforcement du rôle géopolitique ainsi que de la capacité d’action de l’UE, et appellent de leurs vœux une Union plus indépendante en termes de politique de sécurité et de défense. Ainsi, le SPD s’engage à développer la coopération européenne en matière de défense, avec pour projet phare la création d’une « armée européenne » rattachée à la Commission européenne, une proposition controversée déjà soumise par le groupe parlementaire SPD au Bundestag fin 2020. De son côté, Olaf Scholz se dit ouvert à un dialogue sur les futures capacités dont ont besoin l’UE et l’OTAN, et convaincu de l’intérêt que représente la coopération d’armement en termes de rationalisation des coûts.

Enfin, en ce qui concerne le contrôle des armements nucléaires et conventionnels, qui tient une place centrale dans le programme des sociaux-démocrates, c’est sans doute ici que la position du SPD est la plus radicale, se rapprochant de celle du parti Die Linke. Le SPD appelle au retrait des armes nucléaires présentes sur le sol allemand et de façon générale à une dénucléarisation totale. En plus de l’obligation de désarmement découlant du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), les sociaux-démocrates s’engagent à soutenir les intentions du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), dont l’Allemagne est observatrice. Au sujet des armements conventionnels, le SPD prône une politique d’exportation restrictive qui renforce le contrôle sur la destination finale des armes, restreint au maximum l’exportation d’équipements militaires allemands vers des pays situés en dehors de l’UE, de l’OTAN ou assimilés, et n’autorise des exceptions (exportation vers des pays tiers) que dans des cas individuels dument justifiés à condition que le pays en question ait ratifié et mette en œuvre le Traité sur le commerce des armes (TCA). Le SPD souhaite par ailleurs élargir le contrôle sur les exportations d’armes aux biotechnologies, à la cybernétique et à l’intelligence artificielle.

Enfin, sur la question des drones, particulièrement houleuse outre-Rhin, le SPD n’y est pas opposé dans la mesure où ces derniers contribuent à améliorer la sécurité des soldats sur le terrain. Cependant, il appelle à lancer un débat public et inclusif sur la question de leur armement, tout en préconisant la mise en place d’un cadre réglementaire international visant à encadrer cette pratique. En revanche, les sociaux-démocrates se disent formellement opposés aux systèmes d’armes létales autonomes et appellent à leur interdiction pure et simple.

Dès lors, doit-on s’attendre à une rupture sur les questions de défense en cas de victoire du SPD ?

En cas de victoire, le programme électoral du SPD, tout comme les propos de son Spitzenkanidat Olaf Scholz, laissent présager une certaine continuité vis-à-vis de la politique étrangère et de défense menée par le gouvernement actuel. Ceci est d’autant plus vrai que le SPD fait partie de la coalition gouvernementale au pouvoir depuis 2013, que les ministres des Affaires étrangères des huit dernières années (Frank Walter Steinmeier, Sigmar Gabriel et Heiko Maas) sont issus du Parti social-démocrate, et qu’Olaf Scholz est lui-même à la tête du ministère des Finances depuis 2018. Ainsi, le candidat à la Chancellerie se veut rassurant vis-à-vis de ceux qui craignent une fin des programmes d’armement en coopération ou une baisse du budget de défense allemand en cas de victoire du SPD, n’hésitant pas à rappeler que c’est sous sa responsabilité en tant que ministre des Finances que le budget de défense a augmenté de façon conséquente (passant de 38,5Md€ en 2018 à 47Md€ en 2021) après des années de coupes budgétaires initiées par la CDU/CSU, et que c’est donc grâce à lui qu’ont pu être débloqués les crédits nécessaires au lancement des programmes de modernisation structurants tels que le SCAF, le MGCS ou l’Eurodrone.

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À retrouver dans la même série : Les élections fédérales allemandes de 2021 : quel programme pour les Verts en matière de défense ?
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