14.11.2024
Le Qatar en s’offrant Lionel Messi s’achète une nouvelle image
Presse
10 août 2021
Il y a deux raisons principales qui expliquent le rachat de Messi par le Qatar. La première est effectivement sportive. Recruter Messi représente une formidable opportunité pour tout club, puisqu’il est considéré comme l’un des meilleurs joueurs du monde. Il va apporter un avantage stratégique indéniable au PSG et pourrait aider le club à remporter le titre de champion d’Europe, titre qui lui échappe depuis plusieurs années, avec la Ligue des champions.
Il y a aussi une ambition géopolitique qui est de renforcer la place du PSG dans le football international. Car le PSG est la partie émergée de l’iceberg de la diplomatie sportive du Qatar. Il est son bras armé pacifique depuis une dizaine d’années. Il était intéressant pour le Qatar de miser sur Lionel Messi. Le joueur va donner une image positive du club. Il est connu mondialement, son maillot est porté par des milliards de personnes et on sait que ses matchs seront scrutés sur les cinq continents. Surtout à un an et demi de la coupe du monde masculine qui se tiendra en décembre 2022 au Qatar. L’émirat veut développer sa marque à l’international.
Pourquoi l’émirat cherche à redorer son image ?
Le Qatar a eu la volonté de développer une diplomatie sportive pour trois raisons principales. La première est la volonté d’apparaître sur la scène internationale. Si vous n’étiez pas spécialiste de l’énergie et du gaz, il y a dix ans, vous n’auriez pas été capable de situer le Qatar sur une carte ou de pouvoir donner des éléments sur sa vie politique. C’était une vraie volonté d’apparaître sur la carte du monde et de s’y positionner.
Il faut aussi avoir en tête un deuxième élément, celui d’un contexte régional extrêmement compliqué avec notamment une opposition très forte avec les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite, qui sont les grands voisins rivaux du Qatar sur la scène internationale. Le Qatar veut s’affirmer face à ces géants-là pour préserver son intégrité territoriale mais aussi pour exister politiquement.
Le dernier élément est celui de la diversification économique. On sait que les réserves de gaz au sein de l’émirat ne sont pas éternelles. Il est donc nécessaire de penser l’après et de trouver d’autres débouchés économiques à travers le domaine du sport, mais aussi celui de l’hôtellerie, du luxe, également investis par le Qatar.
Sous quelles formes cet investissement dans le sport s’est-il traduit pour le Qatar ?
Le Qatar a investi fortement dans le football, avec le rachat du PSG en 2011 et en 2010, ainsi que l’annonce de l’accueil de la coupe du monde masculine qui aura lieu en 2022. Cela passe aussi par le sponsoring avec Qatar Airways, mais aussi par le fait de recruter les meilleurs joueurs du monde et de considérer qu’ils sont les ambassadeurs du Qatar à l’étranger. Il y aussi un autre point : quand vous parlez du football, vous ne parlez pas d’autre chose. Vous donnez donc une image extrêmement dynamique, jeune, à votre pays. Mais le fait d’investir autant dans ces domaines-là est un peu un jeu à double tranchant, puisque si cela permet d’attirer une attention positive sur le sujet, cela attire aussi l’attention tout court. S’il existe un certain nombre de critiques, de défaillances, de scandales, c’est aussi quelque chose dont l’ensemble de la communauté internationale va avoir vent. Par exemple, s’il n’y avait pas eu de coupe du monde 2022, on ne se serait pas intéressé au système de la « Kafala » au Qatar.
En quoi consiste le système de la « Kafala » ?
La Kafala est un système qui existe dans un certain nombre de pays du Moyen et du Proche-Orient et notamment dans la péninsule arabique. Il est un système du droit social qui donne plein pouvoir à l’employeur qui va pouvoir confisquer le passeport des personnes qu’il emploie pour les empêcher de pouvoir quitter le territoire ou qui va les limiter dans un certain nombre de leurs droits sur le territoire.
Cela a été dénoncé par un certain nombre d’ONG, notamment Amnesty International et Humans Rights Watch qui ont, à partir du moment où la coupe du monde a été attribuée au Qatar en 2010, mis une pression considérable à Doha pour précisément venir réformer voir même abolir ce système de la « Kafala ». Il a été officiellement aboli en septembre 2020. Mais les ONG continuent de regarder avec très grande attention ce qui est en train de se faire au Qatar concernant les droits des travailleurs. S’il y a eu un immense pas en avant qui a été fait avec l’abolition de la « Kafala », les ONG n’hésitent pas à tirer la sonnette d’alarme quand il y a un retour à des mesures plus strictes envers les droits humains des ouvriers étrangers.
Les infrastructures construites pour la coupe du monde 2022 sont nombreuses et font polémique. 1200 personnes (selon la Confédération syndicale internationale) ont trouvé la mort en les construisant. La question de la réutilisation de ces infrastructures, financées à coups de milliards (188,9 milliards d’euros d’investissements envisagés), suscite la polémique.
Le Qatar doit répondre à un certain cahier des charges de la part de la FIFA. Ils doivent notamment construire plusieurs stades et de nombreux hôtels (ndlr : le Qatar doit être en position d’accueillir le double de sa population, c’est-à-dire plus de 4 millions de touristes). Forcément, cela veut dire que vous allez construire de nouvelles infrastructures. Effectivement, cela pose aujourd’hui la vraie question de : qu’est-ce qu’on en fait, une fois la compétition terminée ? Aujourd’hui, la coupe du monde n’a pas encore eu lieu, mais nous voyons déjà le Qatar se positionner potentiellement sur d’autres grandes compétitions internationales pour justement faire en sorte de réutiliser ces infrastructures. Ceci afin qu’elles ne deviennent pas ce que l’on appelle dans le milieu du sport des « éléphants blancs ». En effet, il s’agit de ne pas payer des milliards de dollars pour la construction d’une infrastructure qui n’a au final une durée de vie que de 15 jours, un mois.
Quelles sont les relations entre le Qatar et ses voisins ?
La relation entre le Qatar et la région, notamment avec l’Arabie Saoudite, est très tumultueuse. Il y a un épisode historique qui est particulièrement marquant dans l’histoire du Qatar, c’est l’invasion du Koweït par l’Irak (ndlr : du 2 au 4 août 1990). Le Koweït est un tout petit territoire, comme le Qatar. Il s’est fait envahir par son voisin géant, l’Irak, similaire de taille à l’Arabie Saoudite. C’est depuis devenu un risque pour le Qatar d’être envahi par l’Arabie Saoudite. Le pays a donc estimé nécessaire de revendiquer son indépendance, sa présence, de plus en plus fortement et par différents biais. D’un point de vue territorial c’est compliqué, d’un point de vue démographique aussi, et donc ils ont décidé d’investir sur le sport.
Cet investissement sur le sport a d’ailleurs très rapidement donné des idées à ses voisins. Les Emirats arabes unis ont aussi beaucoup investi dans le domaine du sport, à partir des années 2005 et 2010.
L’Arabie Saoudite, qui pendant très longtemps, avait rechigné à investir dans le sport, considérant que ce n’était pas quelque chose d’intéressant et qu’elle n’en avait pas besoin pour être très présente sur la scène internationale, a finalement considéré que c’était quelque chose d’important voir d’essentiel, avec une montée en puissance de la diplomatie sportive saoudienne à partir de 2015. Elle a accueilli de grands événements sportifs, elle a aussi tenté le rachat de clubs, comme pour Manchester United, Newcastle, où Marseille, avec cette logique d’opposition PSG-OM que l’on devine.
Si l’on regarde la géopolitique du sport à l’échelle de la région, on voit vraiment qu’une voie a été tracée par le Qatar, qu’elle a fait des envieux et que désormais, un certain nombre de ses voisins, pas forcément pour les mêmes raisons, essayent de s’affirmer de plus en plus sur le sujet.
Ce « softpower » sportif fonctionne-t-il ?
On ne sait pas. Cela dépend des objectifs qui sont fixés. L’objectif du Qatar était de se faire connaître sur la scène internationale. Le contrat est rempli. Il souhaitait aussi jouir d’une bonne image sur la scène internationale. Pour savoir si cela a fonctionné, je pense qu’il faudra attendre les prochains mois et années à venir.
Propos recueillis par Séraphine Charpentier pour TV5 Monde.