20.11.2024
Le Green Deal européen : une voie ambitieuse vers la neutralité carbone ?
Interview
22 juillet 2021
Ce mercredi 14 juillet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé les mesures inclues dans son nouveau Green Deal afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Ce plan ambitieux n’a pourtant pas fait l’unanimité à l’échelle de l’Europe. Ces nouvelles directives seront-elles suffisantes sur le plan environnemental ? Impacteront-elles les relations de l’Europe avec le reste du monde ? Le point avec Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS spécialisée sur les questions de gouvernance de la sécurité climatique et de géo ingénierie.
Ce mercredi 14 juillet, la Commission européenne a annoncé son plan législatif afin de réduire ses émissions de carbone de 55 % d’ici 2030, le « Fit for 55 ». Quelles sont les mesures prévues ?
Le « Fit for 55 » annoncé par la Commission européenne le 14 juillet dernier constitue une étape intermédiaire vers l’objectif encore plus ambitieux, et contraignant, de neutralité climatique à 2050 du Pacte vert européen. En s’engageant à réduire d’au moins 55 % ses émissions d’ici 2030, l’Union européenne (UE) gagne en crédibilité quant à sa capacité à atteindre son objectif de long terme. Par ailleurs, ce paquet législatif couvre un ensemble de thématiques (énergie, transport, déchets, bâtiment et agriculture notamment), en faisant un dossier qui touche à tous les domaines d’action de l’UE.
On compte ainsi une douzaine de mesures – certaines déjà évoquées dans le Pacte vert, qui visent à permettre aux États membres de réduire leurs émissions au cours des dix prochaines années ainsi que leur dépendance aux énergies fossiles, pour y mettre fin. Parmi celles-ci, on note la révision du système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (SEQUE-UE), la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou encore la révision de la directive sur les énergies renouvelables, dont la part devrait être portée à 40 % de la consommation énergétique de l’UE d’ici 2030.
On note également des initiatives spécifiquement dédiées aux secteurs de l’aviation et du transport maritime avec pour objectif d’une part de favoriser l’usage de biocarburants de synthèse et d’autre part de réduire les émissions et d’imposer aux transporteurs de déclarer les types de navires et les carburants utilisés. Enfin, le plan prévoit de réduire de 55 % les émissions des nouveaux véhicules d’ici à 2030 et de 100 % d’ici à 2035, interdisant de fait la production de nouvelles voitures à essence et diesel dès 2035.
Ces mesures sont-elles suffisantes et réalisables ?
Bien qu’ambitieuses et accueillies globalement de manière positive, certaines mesures suscitent des inquiétudes quant à leurs répercussions sociales sur les populations les plus précaires. Le plan législatif de l’UE pourrait demander des efforts considérables aux Européens « ordinaires » en ne prenant pas suffisamment en compte les inégalités de revenu au sein et entre pays ou encore l’augmentation des émissions des Européens les plus riches. Les dispositions prévues par « Fit for 55 » impacteront également de manière plus importante les États les plus dépendants des énergies fossiles, comme la Pologne.
Ce faisant, une question centrale demeurera celle des mesures sociales qui accompagneront les dispositions prévues par un plan législatif reposant majoritairement sur la tarification du carbone. À cet effet, le Climate Social Fund proposé répond en partie au défi avec une enveloppe de 72,2 millions d’euros entre 2025 et 2032. Pour certains, ce montant est insatisfaisant, tant la structure même du fond peut être remise en question dans la mesure où seule une partie sera dédiée à la compensation sociale. À noter que les États membres devront soumettre des plans climat sociaux aux côtés de leurs plans énergétiques et climatiques à 2024. Une question subsiste donc quant aux conséquences des capacités institutionnelles disparates au sein de l’Union.
Au-delà des conséquences sociales, l’objectif de réduction des émissions à -55 % d’ici 2030 est lui-même remis en question par certaines organisations de la société civile, dont le Climate Action Network (CAN) ou Oxfam, qui considèrent que l’Union devrait porter son objectif de réduction à 2030 à au moins -65 % pour s’aligner avec l’objectif de l’Accord de Paris de limiter l’augmentation de la température à +1,5°C.
Concernant la capacité à mettre en œuvre ce plan, il est important de noter que le processus législatif qui s’ouvre pour les deux prochaines années promet d’être compliqué. Tandis que certaines dispositions feront l’objet d’examen par le Conseil et le Parlement européen, les réformes fiscales seront soumises au vote à l’unanimité. Les deux prochaines années constituent donc un défi pour l’UE, qui devra démontrer sa capacité à coopérer en interne malgré des intérêts nationaux parfois divergents.
Ursula von der Leyen a annoncé lors de sa prise de parole : « L’Europe était le premier continent à déclarer qu’il parviendrait à la neutralité carbone, nous sommes à présent les premiers à présenter une feuille de route concrète ». Ces nouvelles directives et règlements européens constituent-ils un précédent ? Quels impacts peuvent-ils avoir à l’échelle internationale ?
Au cours des derniers mois, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni ou la Chine se sont également engagés à atteindre la neutralité climatique, à différentes échéances proches de la moitié du XXIe siècle. Ces engagements ont souvent été reçus positivement, sans grande attention donnée à leur crédibilité. Compte tenu de l’échec de la communauté internationale à réduire les émissions depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, atteindre une neutralité à 2050 nécessite une réduction drastique des émissions d’ici 2030.
À ce titre, les réductions d’émissions combinées prévues à 2030 sur la base des nouvelles feuilles de route soumises par les États dans le cadre de la COP26 sont largement insuffisantes pour rester sous le seuil des 1,5°C : 1 % de réduction à 2030, contre les 45 % nécessaires. C’est en cela que le « Fit for 55 » constitue un avantage pour l’UE dans la bataille pour le leadership sur la question climatique, et pourrait permettre d’encourager d’autres États à aligner leurs législations. En outre, avec ces mesures et les transformations sociétales qui les accompagnent, l’UE continuera de se positionner comme puissance normative en la matière.
Parmi les mesures proposées, certaines auront également un impact sur la relation de l’Union avec le reste du monde – au premier rang desquels le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui pourrait être considéré par certains comme une mesure protectionniste. Pour l’instant, le mécanisme propose de couvrir les secteurs les plus émetteurs (aluminium, acier, ciment, etc.). Or, ces dispositions pourraient impacter de manière disproportionnée les pays exportateurs de ces matières, notamment africains (Mozambique, Ghana, Zambie par exemple).
Il conviendra donc de voir la manière dont les diplomates européens feront passer ces mesures auprès de leurs partenaires, par exemple à travers des exemptions à l’égard des pays les moins développés – mais aussi plus largement, auprès de l’Organisation mondiale du commerce.