20.11.2024
L’équipe d’Angleterre de football peut-elle réconcilier le Royaume-Uni ?
Interview
10 juillet 2021
Si l’Angleterre remporte l’Euro, peut-elle incarner un symbole d’unité dans un Royaume-Uni post-Brexit ? Le point de vue d’Olivier de France, directeur de recherche à l’Iris.
L’équipe nationale d’Angleterre est-elle un symbole du Royaume-Uni post-Brexit ?
Il me semble que ce qui prime à court terme, avant la lecture ou la récupération politique, est qu’il s’agit d’une équipe qui donne de la joie à un pays post-lockdown. On l’a vu à Wembley lors des rencontres des Trois Lions, on le voit dans les rues du pays aujourd’hui.
En revanche, si l’Angleterre remporte la finale, on risque d’entendre sonner l’antienne du Brexit libérateur : en choisissant le grand large, l’Angleterre a retrouvé son mojo. Affranchis des liens européens qui enserraient le pays, ses savants ont développé le vaccin, son administration a inoculé la population, ses footballeurs ont chassé le poids de l’histoire et renoué le fil du glorieux passé d’un pays qui a inventé le football, etc. Il ne s’agit pas là uniquement d’une unité fantasmée sur le plan intérieur, mais aussi de l’image projetée par le pays à l’extérieur (les deux sont liés) : c’est « l’Angleterre qui gagne ».
Et sur le plan intérieur ?
Si l’Angleterre remporte l’Euro, il est plausible qu’on tente de faire de cette équipe un symbole d’unité dans un Royaume-Uni post-Brexit, à la manière de la France en 1998. Il s’agit d’une équipe qui s’y prête, car elle sort un peu des clichés sur l’Angleterre du Brexit.
Il y a d’un côté des joueurs comme Phil Foden, qui se réclame consciemment de l’image d’un Paul Gascoigne et de l’Angleterre ouvrière. Il y a de l’autre des joueurs comme Raheem Sterling qui est très engagé contre le racisme. Pourtant, la division entre « Little Englander Brexiteers » et « communautaristes woke » ne fonctionne pas bien pour décrire cette équipe, puisque tout le monde se réclame de Paul Gascoigne (toute l’équipe se teindra en blond comme Gascoigne si elle gagne le Championnat d’Europe, selon Foden) et que tous les joueurs posent un genou à terre. Sterling et Rashford ont aussi tous deux été récompensés d’un MBE (Member of the Most Excellent Order of the British Empire) par la reine d’Angleterre, ce qui leur permet justement d’échapper aux gémonies de l’establishment, ou de boomers anglais qui assimilent antiracisme et culture woke.
Il s’agit cependant toujours d’une unité très éphémère. Quand ils gagnent, Sterling ou Rashford sont des figures d’unité qui sont portées aux nues, et qui permettent de réconcilier temporairement ces différentes identités. À l’inverse, ils subissent le racisme en ligne quand ils perdent. Et après France 98, l’élection présidentielle de 2002 a porté Jean-Marie Le Pen au second tour…
Quelles conséquences cela peut-il avoir sur le rapport entre l’Angleterre et le Royaume-Uni plus largement ?
Les observateurs ont remarqué que l’usage du drapeau britannique (le Union Jack) était de mise lors de la victoire anglaise à la Coupe du Monde 1966. Depuis, le drapeau anglais (sur lequel figure la croix de Saint Georges) a pris le pas dans les stades. On notera aussi aujourd’hui la Une d’un journal écossais qui souhaite la victoire de l’Italie en finale.