06.11.2024
La guerre au Tigré : l’amorce d’une fin de conflit pour l’Éthiopie ?
Interview
7 juillet 2021
Depuis le début du mois de novembre 2020, la région du Tigré est le théâtre d’un conflit entre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et le gouvernement éthiopien rejoint par l’armée érythréenne et les milices amhara. Après huit mois de conflit, un « cessez-le-feu de principe » a été décidé, mais demeure incertain puisqu’unilatéral. Ce dernier peut-il être le signe d’un processus de paix entre les deux camps ? Dans un contexte électoral et humanitaire complexe, peut-on entrevoir la fin de ce conflit ? Le point avec Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’ et spécialiste de l’Éthiopie.
Après avoir reconquis la ville de Mekele le 28 juin dernier, les forces pro-TPLF (Force de défense du Tigré) ont repris une partie du Tigré et se disent aujourd’hui prêtes à accepter un « cessez-le-feu de principe » sous conditions. Parmi elles se trouvent le retrait des forces érythréennes et amhara soutenant l’armée éthiopienne. Ces exigences vous semblent-elles envisageables au regard du passé entre les différents territoires ?
Les Tigréens ont annoncé qu’ils étaient d’accord par principe sur l’accord de cessez-le-feu avec néanmoins des conditions préalables. Parmi elles, ils exigent que les forces éthiopiennes, érythréennes et les milices amhara quittent la totalité du territoire tigréen. Il n’y aura pas de discussion possible tant que ces forces-là n’auront pas quitté cette région. Les forces éthiopiennes et érythréennes semblent avoir quitté le Tigré ou sont sur le point de le faire. Il reste les milices amhara qui ont conquis une petite partie du territoire tigréen à l’ouest du pays. Ce sera sûrement un foyer de tension voire une possibilité d’intervention militaire tigréenne dans les prochaines semaines. Le TPLF souhaite récupérer la totalité de son territoire, et y assurer sa défense et sa politique. En complément de ces requêtes préalables, ils ont demandé que la totalité des personnes arrêtées ou internées pour des critères d’appartenance au groupe tigréen soient remises en liberté le plus rapidement possible. Des conditions incontournables que refuse d’avaliser le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed.
Dans l’état actuel des choses, les positions sont à 180 degrés tant du côté d’Abiy Ahmed que du côté du leader du TPLF, Debretsion Gebremichael, excluant la possibilité que chacun fasse un pas en avant. Avant la nomination du nouveau Premier ministre ou sa reconduction, qui aura lieu fin septembre début octobre lors de la prochaine réunion parlementaire, trois mois de fenêtre d’opportunités s’ouvrent aux deux camps afin d’engager ou non des discussions. Cependant, il y a peu de chances que les deux hommes se retrouvent autour d’une table de négociations dans la mesure où l’Assemblée nationale éthiopienne a décrété que le TPLF était un mouvement terroriste. Or, aujourd’hui, les Tigréens arrivent en position de force avec une victoire politique et militaire, et le Premier ministre éthiopien va être obligé de faire un certain nombre de concessions s’il ne veut pas voir le conflit s’intensifier et être le témoin de l’avancée des troupes tigréennes sur Addis-Abeba comme en 1991. Le Tigré et les Tigréens doivent être réintégrés dans le jeu politique éthiopien, car au travers de la réponse du TPLF au gouvernement central, ils souhaitent rester au sein de l’Éthiopie.
Après avoir été reportées au 21 juin, les élections ont enfin eu lieu en Éthiopie, mais partiellement. Que peut-on en attendre ? Leurs résultats peuvent-ils avoir un poids dans le contexte sécuritaire actuel ?
Aujourd’hui, la situation sur le terrain montre que les élections quels que soient leurs résultats ne seront pas d’un grand intérêt et il y a peu de chance qu’elles aient un impact sur le contexte. La plupart des yeux sont tournés vers ce qui se passe dans le nord, c’est-à-dire ce que vont faire les Tigréens, quelles sont leurs demandes par rapport à l’accord de cessez-le-feu voulu par Abiy Ahmed. On s’attend à ce que le Parti de la prospérité, le parti du Premier ministre, soit déclaré vainqueur de ces élections et il devrait être réélu au mois de septembre octobre lorsque le Parlement se réunira. Cependant, même avec une victoire importante, tout restera à faire. Abiy Ahmed jouera sur cette victoire, mais la défaite politique et militaire subie au Tigré a relégué les résultats au second plan.
La guerre au Tigré a généré une grave crise humanitaire, ce qu’annonce l’ONU ce vendredi 2 juillet : « Plus de 400 000 personnes ont franchi le seuil de la famine et […] 1,8 million de personnes supplémentaires sont au bord de la famine ». Face à la destruction de nombreuses infrastructures essentielles à l’approvisionnement, la communauté internationale et les ONG possèdent-elles encore une marge de manœuvre dans la région ?
À la demande du Front de libération du peuple du Tigré, toute l’aide humanitaire sera acceptée et avalisée par les autorités tigréennes. Elle devrait reprendre en fonction de la situation des routes, des villes, etc., après avoir été bloquée pendant cinq à six mois ou administrée au compte-goutte, entraînant de graves situations de famine à travers la région. Abiy Ahmed a notamment demandé un « cessez-le-feu » pour que l’aide humanitaire puisse arriver, une logique raisonnable même s’il est à l’origine du blocage.
Aujourd’hui, les Tigréens en ont besoin et ont donc demandé comme condition préalable à l’accord de cessez-le-feu que l’aide continue. Les dégâts des retards et des ralentissements vont peut-être être minimisés, mais resteront tout de même conséquents. Il n’est pas possible à l’heure actuelle de nourrir toute la population en état de famine, la situation nécessitant un long processus. Pour ce faire, il est nécessaire que les avions puissent se poser à Mekele, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, que les accès routiers soient possibles et que les ponts ne soient pas détruits simplement pour couper la descente des troupes tigréennes vers le sud, paralysant aussi l’acheminement de l’aide humanitaire vers le nord.
La communauté internationale a les moyens d’accélérer l’arrivée de cette aide humanitaire, car, sur ce point, les deux parties sont d’accord. Dans le cadre du cessez-le-feu inconditionnel et unilatéral, Abiy Ahmed a donné comme raison l’acheminement de l’aide humanitaire. Dans sa réponse, le TPLF déclare qu’il apportera son aide sans réserve pour cet acheminement en assurant la sécurité de la distribution et des personnels employés à cette fin.