13.12.2024
Biden : un piège pour Macron ?
Édito
29 juin 2021
D’abord parce que les États-Unis participent de nouveau à la lutte contre le réchauffement climatique, qui est un objectif prioritaire pour la France, alors que Donald Trump était climatosceptique. Autre bonne nouvelle : Joe Biden a mis fin à la guerre très pénalisante pour l’Europe entre Boeing et Airbus. Il a aussi repris, fût-ce de manière indirecte, les négociations avec l’Iran, alors que la France et les deux autres alliés européens (Allemagne et Royaume-Uni) ont toujours été très attachés à l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015. Il a également accepté de taxer les géants du numérique, ce que Donald Trump refusait catégoriquement de faire. La levée des sanctions sur la construction du gazoduc Nord Stream 2 est une autre revendication européenne à laquelle Joe Biden a cédé. Globalement, le climat international et transatlantique est donc plus sain.
Toutefois, l’arrivée de Joe Biden au pouvoir pourrait se transformer en piège pour Emmanuel Macron. Auparavant, le président français avait un rôle tout trouvé : il était l’anti-Trump et incarnait la défense du multilatéralisme. Fermement opposé à l’unilatéralisme de Donald Trump, il n’a pour autant jamais été trop transgressif, et ne s’est jamais opposé frontalement au président américain. Il parvenait à incarner une alternative à Donald Trump sans toutefois antagoniser les relations avec celui-ci.
Désormais, ce rôle d’anti-Trump n’a plus lieu d’être : Joe Biden n’a pas besoin de contre-modèle, car il est lui-même le modèle attractif pour les dirigeants européens. Il est plus difficile de résister à Joe Biden, qui ne cesse de marteler, si souriant, si cordial et si poli, que « l’Amérique est de retour ».
La grande croisade lancée par les États-Unis contre la Chine ne correspond pas à l’agenda européen : on l’a très bien vu aux sommets du G7 et de l’OTAN, à la veille desquels Emmanuel Macron et Angela Merkel ont affirmé ne pas partager la vision américaine d’une menace chinoise absolue et globale – une vision sur laquelle Joe Biden et Donald Trump se rejoignent. Avec l’arrivée de Joe Biden, l’objectif des États-Unis de contenir l’avancée de la Chine reste inchangé : Donald Trump voulait le faire de façon plus agressive, Joe Biden a davantage l’ambition de rallier les Européens. L’Europe a été emmenée dans cette course contre la Chine et n’a pas su résister aux ambitions américaines : dans le communiqué commun signé à la fin du sommet de l’OTAN, ce sont bien les termes américains qui ont été gardés à propos de la « menace » chinoise.
Si Joe Biden est moins unilatéraliste que ne l’était son prédécesseur, il n’est pas tout à fait multilatéraliste non plus. Il se retire d’Afghanistan sans prévenir les Européens qui sont pourtant impliqués eux aussi dans le conflit ; la NSA ne va probablement pas arrêter ses écoutes des dirigeants européens malgré les nombreuses promesses ; Joe Biden ne va pas renoncer à la législation extraterritoriale – il suffit de se rappeler la force avec laquelle Obama l’avait appliquée, avec les 9 milliards de dollars d’amende pour la BNP, le démantèlement d’Alstom… Sur le plan des négociations commerciales, Joe Biden, qui veut protéger la classe moyenne américaine, ne fera pas de cadeau aux Européens.
Un autre problème pour Emmanuel Macron est le fait que sur le plan européen, la diplomatie américaine donne la priorité aux relations avec l’Allemagne, affichée comme le partenaire principal des États-Unis en Europe, et avec le Royaume-Uni qui reste le partenaire traditionnel, même s’il est sorti de l’Union. Angela Merkel va être reçue à Washington en juillet, alors que parmi les dirigeants français, ni la ministre des Armées, ni le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, ni le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, ni le président Macron lui-même ne s’y sont rendus.
Plus généralement, sur le plan international, on voit bien que pour Joe Biden, l’Asie est la priorité. Les ministres asiatiques défilent à Washington les uns après les autres, contrairement aux dirigeants européens.
La difficulté réside aussi dans le rôle particulier de la France sur le plan international : désormais, elle accepte bon gré mal gré ce que disent les Américains, elle n’offre pas une véritable alternative. Lorsqu’elle était plus rebelle, on faisait plus attention à elle. Où Kennedy fait-il son premier voyage à l’étranger lorsqu’il est élu ? En France, pour rencontrer De Gaulle. Et il en fut de même pour Nixon. Aujourd’hui, les dirigeants français attendent encore d’être reçus à Washington. Il faudrait de temps en temps hausser un peu plus la voix – et ne pas accepter tous les communiqués – pour ne pas perdre en pertinence.
L’autre piège que l’arrivée de Biden tend à Emmanuel Macron concerne la politique intérieure (même si politique extérieure et intérieure ne sont jamais totalement dissociées). Les entrepreneurs américains ont du mal à embaucher – Biden leur répond : « Pay them more » (« augmentez les salaires »). On imagine mal Emmanuel Macron dire cela, tout comme on l’imagine mal adopter la taxation sur les grandes fortunes que Joe Biden a mise en place aux États-Unis. Par ailleurs, l’approbation par le président américain du verdict de la condamnation de Derek Chauvin, le policier qui a assassiné George Floyd, met Emmanuel Macron en difficulté, car on ne voit pas ce type de démarche en France concernant les violences policières, dont le Président, ou du moins son exécutif, va jusqu’à nier le principe et l’existence. Ainsi, qu’il s’agisse de la question du respect des minorités, de la taxation des richesses et de la hausse des salaires, Emmanuel Macron est doublé sur sa gauche par son homologue américain, et ceci ne pourra pas, à terme, ne pas avoir de conséquences sur la politique intérieure française. Joe Biden est une bonne nouvelle en général, mais pour Emmanuel Macron, il représente un défi particulier, et personnel, aussi bien sur le plan international que national.