ANALYSES

Reprise du dialogue transatlantique : vers quelle autonomie stratégique pour l’Union européenne ?

Interview
28 juin 2021
Le point de vue de Edouard Simon


La tournée européenne de Joe Biden du 9 au 16 juin, avec comme point d’orgue le sommet de l’OTAN le 14 juin, devait a priori signer le grand retour des États-Unis dans le multilatéralisme. Que doit-on en retenir ? Alors qu’un dialogue transatlantique courtois et serein sur les questions stratégiques semble de nouveau possible, quid des projets d’autonomie stratégique européenne particulièrement nourris au cours de la présidence de Donald Trump ? Le point avec Édouard Simon, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions de sécurité et de défense européennes.

Ce dernier sommet de l’OTAN marque-t-il le retour de Washington à une diplomatie réellement multilatéraliste ? Quelles ont été les réactions des alliés européens face à cette réaffirmation du rôle des États-Unis dans l’organisation ?

Difficile de répondre, mais il est évident que les États-Unis de Biden ne sont pas et ne seront pas les États-Unis de Trump, qui campait sur une position isolationniste, rejetant par principe le multilatéralisme, ses institutions et ses règles pour s’enfermer dans des relations bilatérales basées sur le rapport de force. Avec Biden, les États-Unis sont davantage orientés vers un renforcement du rôle des alliés, au moins dans les mots. En effet, même si les États-Unis sont de retour au sein notamment de l’OTAN, l’une des premières décisions de l’administration Biden demeure le retrait des troupes d’Afghanistan opéré sans consultation des alliés. On ne peut donc pas parler d’ une politique totalement multilatéraliste, mais plutôt d’un retour vers les alliés européens en ayant conscience que, face à la montée de la Chine notamment, les États-Unis ont besoin, maintenant, et plus que jamais, de leurs alliés.

La réponse des Européens me semble prudemment optimiste. Aujourd’hui, personne en Europe ne regrette Donald Trump. L’élection de Joe Biden a été accueillie avec un vrai soulagement dans les chancelleries européennes.

Pour autant, les divergences qui ont pu se cristalliser pendant l’ère Trump ne vont pas disparaître. Les questions commerciales vont être traitées de manière plus civilisée et le président américain sera davantage diplomate dans ses propos sur les questions de sécurité. Mais la problématique des États-Unis sur le partage du fardeau (burden sharing) de la sécurité européenne, une préoccupation ancienne, ne disparaîtra bien sûr pas.

Joe Biden avait également très bien préparé sa visite en multipliant les gestes de bonne volonté vis-à-vis de ses alliés : suspension des rétorsions douanières dans le cadre du conflit Airbus/Boeing, levée des sanctions contre le projet de gazoduc Nord Stream 2 (pour l’Allemagne), reconnaissance des initiatives européennes comme contribution à la sécurité transatlantique (pour la France), réaffirmation du caractère sacré de l’article 5 de l’OTAN (pour l’Europe centrale et orientale), etc. Tout cela participe d’une mécanique de grande précision.

La Chine a été présentée pour la première fois comme une menace dans le communiqué final du sommet, une victoire pour la diplomatie américaine. Comment se positionnent les États européens face à ce « défi chinois », véritable priorité stratégique pour Washington ? L’OTAN est-elle vouée à devenir une organisation de lutte contre la montée en puissance de la Chine ? 

Il est clair que Joe Biden avait deux objectifs lors de sa venue en Europe : d’une part, il voulait rassurer les alliés, et d’autre part, il souhaitait avancer son agenda de politique étrangère avec l’idée de reprendre le leadership au niveau mondial pour endiguer la montée en puissance de la Chine, perçue comme la première menace pour la suprématie des États-Unis. Effectivement, le communiqué du Sommet de l’OTAN fait référence à la Chine non plus comme une source d’opportunités et de défis (ce qui était le cas en 2014), mais plutôt comme une menace avec le recours au vocable de la « rivalité systémique ».

Toutefois celui-ci n’est pas nouveau ni propre à l’OTAN, mais est emprunté à la communication de l’Union sur la Chine de 2019. Mais alors que les Européens évoquaient alors les Chinois également comme des concurrents et des partenaires, la communication transatlantique est beaucoup moins nuancée. Sans toutefois amener les Européens à se renier.

Il est ainsi intéressant de regarder ce communiqué dans le détail, car cela permet de relativiser la place qu’y occupe la Chine. Elle est mentionnée dans deux paragraphes qu’il faut mettre en comparaison avec les quinze paragraphes consacrés à la Russie, parfois très durs à son égard. Il y a une vraie divergence d’appréciation sur la question chinoise entre dirigeants américains et européens. Si pour les États-Unis, la menace chinoise est cruciale et réelle, la position des Européens est beaucoup plus nuancée. La montée en puissance de la Chine n’est pas perçue avec la même crainte ni la même urgence en Europe. Les Européens ne souhaitent pas foncièrement entrer dans un trop grand antagonisme vis-à-vis du partenaire chinois.

À l’avenir, la relation avec la Chine sera un thermomètre intéressant du degré d’autonomie stratégique atteint par les Européens. Une partie de cette autonomie stratégique des Européens va se jouer dans leur capacité à dévier de la politique américaine en matière chinoise, à ne pas systématiquement s’aligner sur celle-ci. Il ne faut toutefois pas s’attendre à ce que l’Union européenne soit à équidistance des deux rivaux, car les Européens n’ont pas la même relation avec les Américains et avec les Chinois.

Dans le cadre de la reprise d’un dialogue transatlantique courtois et serein sur les questions stratégiques, dont ce sommet de l’OTAN est l’illustration, où en sont les projets d’autonomie/de souveraineté stratégique, qui avaient été nourris particulièrement au cours de la présidence de Donald Trump ?

Il est clair que la présidence Trump a été un formidable argument pour le développement d’une autonomie stratégique européenne. Et, il est vrai que l’élection de Biden a suscité des craintes, en particulier en France, à propos d’un retour en arrière dans le débat sur l’utilité d’une autonomie stratégique européenne. Toutefois, cette notion ne devrait pas disparaître, et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, les Européens ont conscience qu’il n’est pas exclu que Trump ou qu’un nouveau Trump soit élu dans l’avenir ce qui menacerait de nouveau la sécurité des Européens. D’autre part, l’autonomie stratégique européenne s’est développée bien au-delà des questions de défense et de sécurité, et notamment en matière industrielle et technologique. La crise de Covid-19 a été un formidable argument pour le développement de cette notion – dont la définition est évolutive – dans ces domaines. Cette définition quelque peu floue qui agace les plus cartésiens permet aux Européens d’avoir un vrai échange sur la relation qu’ils souhaitent avoir collectivement avec le monde et sur la manière dont ils souhaitent traiter la question des interdépendances entre l’Union européenne et le reste du monde.

La notion d’autonomie stratégique européenne est là pour rester de manière durable. Tout l’enjeu sera de savoir si cette autonomie stratégique va aussi continuer à se développer en matière de défense et de sécurité. Un certain nombre d’outils, comme le Fonds européen de défense pour le développement des capacités européennes, devrait concourir à maintenir le débat ouvert. Il n’y a bien sûr pas encore de consensus sur ces enjeux, mais le débat va donc continuer et c’est le plus important.
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