Enjeux et programmes dans les élections présidentielles au Pérou ce dimanche 6 juin
es Péruviens appelés à élire leur président dimanche 6 juin, ont le 11 avril, au premier tour, confirmé cette tendance lourde. Ils ont sélectionné deux finalistes ayant pris à contre-pied la presse, comme les sondeurs : un instituteur, syndicaliste, inconnu, Pedro Castillo, et Keiko Fujimori, héritière d’une dynastie à la moralité fluctuante. Comme il arrive dans ce genre de circonstances, la campagne a durci les enjeux. Mais paradoxalement les face à face télévisuels entre les deux antagonistes ont recentré leurs profils respectifs. Les slogans agités par les partisans de l’une et l’autre ont en effet été sans nuances : Keiko est corrompue et Castillo communiste et liberticide. Les débats en revanche, notamment le dernier, à Arequipa, ont raboté beaucoup de leurs aspérités contradictoires.
En ce genre de circonstances la lecture des professions de foi, les programmes respectifs, de Force Populaire pour Keiko Fujimori et Pérou Libre pour Pedro Castillo, permet peut-être d’y voir plus clair sur le futur en prenant connaissance des intentions initiales, et sans doute profondes, de l’une et de l’autre. Elles sont à disposition de tous sur Internet. Mais qui aujourd’hui prend le temps de prendre connaissance de documents, longs d’une centaine de pages, publiés par obligation légale ?
L’ordre et les intitulés des priorités, hiérarchisés de manière distincte, révèlent des fondamentaux idéologiques opposés. Cette divergence est confirmée à la lecture des principes et valeurs justifiant ces choix. L’une, Keiko, plaide pour la continuité, le renforcement, de « l’œuvre » accomplie par son père, Alberto, de 1990 à 2000. Alberto, est actuellement emprisonné pour violations des droits et corruption. L’autre Pedro Castillo entend renverser la table pour rompre avec un État minimal, « néolibéral », ignorant les pauvres et les autochtones des Andes.
Force Populaire range ses propositions dans l’ordre suivant : en 1, l’économie, l’emploi et l’esprit d’entreprise ; en 2, la santé ; en 3, l’ordre public et la sécurité ; en 4, la politique extérieure, la défense et la gestion des catastrophes ; en 5, l’éducation et la culture ; en 6, la lutte contre la corruption ; en 7, les services publics de base ; en 8, le logement ; en 9, les réformes politiques ; en 10, la lutte contre la pauvreté ; en 11, la modernisation et la décentralisation de l’action publique ; en 12, la politique à l’égard des femmes ; en 13, les jeunes.
Pérou Libre décline ses priorités d’une autre façon : en 1, une nouvelle Constitution ; en 2, un nouveau régime économique ; en 3, une école publique libératrice ; en 4, une santé publique répondant à l’attente populaire ; en 5, les transports et moyens de communication ; en 6, faire de l’agriculture la garante de la sécurité nationale ; en 7, l’environnement ; en 8, la culture et le tourisme ; en 9, la décentralisation ; en 10, la politique sociale ; en 11, la politique anti-corruption ; en 12, la sécurité citoyenne ; en 13, les droits de l’homme ; en 14, la justice ; en 15, la femme socialiste ; en 16, à propos de nos principales sources de richesse ; en 17, sur notre souveraineté ; en 18, notre posture à l’égard des entrepreneurs privés ; en 19, nos droits sur la mer territoriale ; en 20, la politique extérieure.
Pourquoi cet ordre et ces intitulés ? Parce qu’ils sont cohérents nous dit Force Populaire avec la Constitution de 1993 (NB- C’est à dire avec la Constitution d’Alberto Fujimori). Une Constitution qui a rompu avec l’héritage « de la dictature militaire2 (..) la Constitution de 1979, les années 1970 et 1980, années « de pauvreté et de désordre ». La Constitution de 1993, au contraire, est une Constitution « de prospérité » qui défend « la famille, le droit à la vie dés la conception, la liberté d’enseignement rend hommage aux forces armées, – héros de la lutte anti-terroriste-, le libre-marché, avec des correctifs sociaux ». Une Constitution qui reconnaît « l’égalité devant la loi, la démocratie et les partis politiques ». Résumant le tout, « le fujimorisme », est selon son programme, « un sentiment populaire (..) qui réclame la poursuite de beaucoup de ce qui a été construit et commencé dans les années 1990, et dont tous les Péruviens ont bénéficié ».
Pérou Libre, estime que son programme s’adresse à tous les Péruviens, mais n’a de sens que s’il « reconnaît que le Pérou est un État plurinational ». « Pérou Libre est né dans le Pérou profond, dans les Andes ». Pérou Libre signale ensuite, que sa création «se veut « une réponse à la droite, (…) et « ce qui est plus important à la gauche traditionnelle ». Le parti se définit « marxiste, léniniste et mariatéguiste (…) démocratique, décentralisateur, humaniste, anti-impérialiste ». Pour autant le programme présenté, « ne vise pas à l’orthodoxie militante, mais se présente comme (…) un guide sans plus, ouvert à la critique ». « C’est » est-il ajouté dans sa présentation « un document contestant le néo-libéralisme (…) pour restaurer un État minimal, « vassalisé par la dictature du marché ». D’où le « slogan du Parti, Plus de pauvres dans un pays riche ! »
Les silhouettes idéologiques de l’une Keiko Fujimori, et de l’autre, Pedro Castillo, se précisent avec une évidence, gommée par la campagne électorale, à la lecture de leurs intentions premières. Reste à vérifier quel sera finalement la ligne validée, au lendemain de la victoire : celle sans concession des professions de foi ou celle des débats télévisés, située quelque part entre « l’économie sociale de marché » de Keiko Fujimorio et « l’économie populaire de marché » de Pedro Castillo ?