06.11.2024
Coup d’État au Mali : un bouleversement bien au-delà des frontières ?
Interview
3 juin 2021
Le 24 mai 2021, un coup d’État a été perpétré par le colonel Assimi Goïta contre le président malien Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane, à la tête d’un gouvernement de transition nommé initialement pour 18 mois. Ce deuxième coup d’État en moins de 9 mois a déstabilisé le pays, ses alliés et la « communauté internationale ». Depuis, des décisions et des déclarations françaises, force militaire principale engagée au Sahel, sont intervenues. Le point avec Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s.
Le 28 mai, Assimi Goïta a été proclamé chef de l’État malien après un deuxième coup d’État – Emmanuel Macron évoque même un coup d’État dans le coup d’État – contre le président Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane. Surnommé le « serial putschiste » par L’Express, qui est Assimi Goïta ? Quelles sont les origines de son deuxième coup d’État ? Les délais d’une élection en février 2022 pourront-ils être tenus ?
Assimi Goïta est un colonel issu du sérail militaire, rompu au terrain et qui visiblement se voit un destin politique qu’au demeurant, il n’hésite pas à s’inventer. Il a perpétré le premier coup d’État le 18 août 2020 qui avait été précédé par un certain nombre de manifestations contre le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta à partir de juin 2020 : résultat à la fois d’une crise multidimensionnelle et d’une coagulation des mécontentements des Maliens sur fond sécuritaire et climat sociopolitique dégradés. Plusieurs partis traditionnels, des membres de la société civile formant une masse critique assez hétéroclite s’étaient réunis dans une plateforme : le M5 – en référence au premier mouvement du 5 juin 2020 -. Après cette phase de turbulences, et pour certains analystes parachevant le processus du M5, Assimi Goïta accompagné entre autres de deux autres colonels a perpétré un coup d’État, sans échange de tirs, sans que le sang ait coulé puisque le président de l’époque, IBK, et son Premier ministre Boubou Cissé avaient chacun été « cueillis » à leur domicile respectif et amenés au camp militaire de Kati. Suite à cette séquence, des sanctions avaient été prises : suspension des organisations internationales, fermetures des frontières terrestres et aériennes, etc. de sorte qu’un gouvernement de transition civile soit nommé, et ce pour une période de 18 mois. Les auteurs du coup d’État avaient fini par obtempérer. Bah N’Daw avait été nommé président de la République, Moctar Ouane Premier ministre et Assimi Goïta vice-président.
Ce deuxième coup d’État quant à lui répond à ce que l’on pourrait appeler une « drôle de séquence ». Une semaine avant son intervention, la grogne montait à Bamako. Moctar Ouane avait démissionné pour être immédiatement renommé dans ses fonctions sur fond de grève généralisée de l’administration déclarée à partir du mardi 18 mai. Dans la soirée du 19 mai alors que je prenais part au 21e forum de Bamako, avec l’ensemble des intervenants, nous avons été alertés d’un possible coup d’État. Il est difficile de recouper les informations tant certaines ont été crédibles et sourcées et d’autres non. On a ainsi appris successivement que Goïta avait été arrêté puis que c’était le président lui-même de retour de Paris où il avait assisté au Sommet sur l’économie africaine. Difficile de démêler le vrai du faux tandis que rien ne paraissait dans les médias officiels ou sur les réseaux sociaux. Reste la question : que s’est-il passé ? Était-ce un avertissement de tensions qui larvaient ? Y a-t-il eu une tentative de manipulation de l’information ? L’histoire nous le dira. Quoi qu’il en soit, le lendemain, la situation semblait normalisée, les rumeurs de la veille évanouies. Le Premier ministre a clôturé le vendredi 21 mai les travaux du forum après avoir reçu une délégation pendant une heure, puis le président Bah Ndaw s’est prêté au même exercice pendant une heure trente. Séquence étonnante, peut-être pour montrer une continuité de l’action gouvernementale sur fond d’absence de gouvernement et de grèves persistantes. Le lundi 24 mai, il y a eu une accélération. La nomination du nouveau gouvernement ayant écarté deux colonels proches de Goïta respectivement des ministères de la Sécurité et de la Défense semble avoir précipité les événements et ce « coup d’État dans le coup d’État ».
Quoi qu’il en soit, il semble peu probable que les élections puissent se tenir en février 2022, comme cela avait été initialement prévu. Tandis qu’à Bamako aucun gouvernement n’est encore nommé, rappelons que des enclaves territoriales échappent complètement au contrôle des autorités et qu’il n’y a plus de coïncidence entre État et territoire d’où une première difficulté identifiée pour organiser cette séquence électorale. Par ailleurs, il faudrait un fichier électoral toiletté alors que dans le contexte actuel, il est difficile d’avoir une connaissance et des chiffres précis concernant ce corpus électoral.
Reste à voir quelles seront les priorités du nouveau gouvernement. Dans cette attente, on notera que les grèves ont été suspendues et que les populations semblent avoir accepté ce nouveau coup de force puisqu’aucune manifestation ne s’en est suivie.
Ce dimanche 30 mai, la Cédéao (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest) a décidé lors d’un sommet extraordinaire de suspendre le Mali de ses institutions à la suite du putsch des militaires et de nommer rapidement un Premier ministre provenant de la société civile. Quelles peuvent être les conséquences pour le Mali face à une telle décision ?
Si les réactions ont été unanimement à la condamnation et que pendant plusieurs jours des sanctions ciblées ont été avancées, le Mali a finalement seulement été suspendu des différentes organisations internationales. Comment comprendre cette suspension presque indolore comparativement aux mesures prises en août 2020 ? Plusieurs hypothèses peuvent être posées, le cas tchadien a peut-être fait jurisprudence même s’il est à rappeler que dans le protocole, les premiers à prendre les décisions sont les chefs d’État de la Cédéao dont le Tchad ne fait pas partie. Peut-être que certains pays n’ont pas souhaité des sanctions trop dures à l’égard d’un pays acculé où la population aurait pu être la plus impactée par la fermeture des frontières terrestres et aériennes tandis que la période de soudure approche et qu’une crise de la faim est éminente. Il est évidemment difficile de savoir quels sont les arguments qui ont prévalu au cours des négociations bi puis multilatérales. On observe juste des sanctions a minima qui confortent Goïta dans son rôle de président du Mali. Concernant les autres acteurs internationaux, on observe qu’il n’y a pas eu de consensus au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie refusant de sanctionner la junte. L’Allemagne, les États-Unis et la France ont quant à eux parlé d’une même voix. Les États-Unis se sont prononcés en faveur d’une suspension de leur coopération militaire sans que l’on en connaisse encore les contours, tandis que le président français a envisagé un possible retrait de Barkhane.
Pour l’instant, hormis cette suspension des différentes organisations internationales mettant le pays en marge de « la communauté internationale », et peut-être les acteurs internationaux étant suspendus à la nomination du nouveau gouvernement, aucune sanction n’a encore été prise.
Lors d’un entretien dans Le Journal du Dimanche, le président Emmanuel Macron a annoncé clairement qu’il retirerait les troupes françaises de l’opération Barkhane du Sahel si le Mali se tournait vers un islamisme radical. Cette déclaration peut-elle réellement être mise en application ? Ce coup d’État pourrait-il déstabiliser la région sahélienne ?
Le message d’Emmanuel Macron est, sans doute, à lire à plusieurs niveaux. Rappelons d’abord qu’il s’est exprimé dans un journal français le JDD dont le lectorat est français. « L’islamisme radical », tout autant que « l’islamo-gauchisme » sont des expressions comprises seules de ceux qui les utilisent. En revanche, ils agitent une crainte de l’islam et du terrorisme qui satisfait sans doute une partie de l’électorat dans une séquence présidentielle qui s’ouvre. Dans l’hypothèse où le Mali choisirait cette voie, le président Macron n’exclut pas un retrait de Barkhane. C’est une hypothèse crédible et à tout le moins, on doit la prendre avec sérieux. Néanmoins si on lit la suite de l’interview, le président français montre également les risques que ce pays et le Sahel pourraient encourir face à une expansion du terrorisme et une immigration massive vers l’Europe. Au regard de ces éléments, on peut sérieusement se demander si quelque part il ne justifie pas l’utilité de Barkhane. D’où peut-être une ambiguïté qui ne permet pas de savoir si des décisions sont arrêtées sinon qu’un processus de réflexion est entamé. À un autre niveau, puisque les informations sont diffusées à l’international, on peut se demander si, par cette interview, il n’instaure pas un rapport de force pour peser dans le choix du nouveau gouvernement malien. Quoi qu’il en soit, cette déclaration, tandis que la France est le pivot sécuritaire dans la région couplée à une situation malienne qui semble tomber de Charybde en Scylla, n’est peut-être pas de nature à rassurer les Européens qui s’étaient engagés à rejoindre Takuba.
À l’heure actuelle, toutes les cartes sont posées sur la table. À voir quelles seront les options de cette transition malienne et les réponses qui pourront y être apportées. Mais c’est bien sûr l’incertitude qui gagne une fois de plus au risque de suspendre des projets à valeur ajoutée au Mali, de détourner de potentiels investisseurs, une situation profitant aux djihadistes qui ne sont pas comptables de ces agendas.