ANALYSES

Biélorussie : les sanctions auront-elles un impact sur le régime de Loukachenko ?

Interview
26 mai 2021
Le point de vue de Jean de Gliniasty


Dimanche 23 mai, un vol entre Athènes et Vilnius a été détourné par la Biélorussie afin d’interpeller Roman Protassevitch, ancien rédacteur en chef du média d’opposition biélorusse Nexta, accusé d’être à l’origine de « l’organisation de troubles massifs » contre le président Alexandre Loukachenko en 2020. Cet incident a déclenché une vive réaction de l’Union européenne et de la communauté internationale. Les sanctions et les enquêtes internationales auront-elles un impact sur la situation biélorusse actuelle ? Le point avec Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions russes.

Que nous révèle ce grave incident sur l’état des libertés en Biélorussie aujourd’hui ?

Il s’agit d’un événement quasiment sans précédent. À mon souvenir, un détournement d’avion entre Rabat et Tunis avait été organisé par la République française en 1956 pour arrêter l’état-major du FLN qui se trouvait à bord avec Ben Bella. Ce fut un scandale international majeur, la IVe République française finissante fut mise au ban des nations avec notamment des projets de résolution au Conseil de sécurité. Ces cas de piraterie d’État rarissimes sont particulièrement graves. En l’occurrence, cela signifie que Minsk se moque désormais de toute respectabilité internationale, et c’est le point qu’a atteint la Biélorussie.

Cet incident est en effet un élément supplémentaire de confirmation de l’état délétère dans lesquelles se trouvent les libertés dans le pays. Le niveau de la répression est très élevé avec l’interdiction des manifestations, les arrestations massives, une liberté de la presse réduite à zéro, un contrôle des réseaux sociaux, même si, pour l’instant, il n’y a pas eu d’usage systématique des armes et de répression dans le sang comme en Syrie ou en Birmanie

Cet événement est aussi alarmant en termes de respect du droit international. Il est le signe d’un gouvernement très affaibli, aux abois et sans aucune préoccupation de sa légitimité à l’extérieur comme à l’intérieur du pays.

L’Union européenne a rapidement appelé à la libération du journaliste et de sa compagne et s’est mise d’accord pour imposer de nouvelles sanctions économiques. Quelles conséquences peuvent avoir de telles sanctions sur les relations entre l’Europe et Minsk ? Quid également de la réaction russe ?

Il y avait déjà eu des tentatives de sanctions contre la Biélorussie, mais une partie des États d’Europe de l’Est, notamment la Pologne et les États baltes, ne souhaitaient pas que l’on en prenne des trop dures au risque de couper le pays de l’Union européenne pour la jeter dans les bras de la Russie. Et c’est ce qui a conduit jusqu’à présent Bruxelles à ne prendre que des sanctions ad hominem, personnelles et assez limitées. Aujourd’hui, nous sommes dans une tout autre situation du fait de cette violation flagrante des règles de comportement en matière d’aviation civile . L’Union européenne est passée à un niveau de sanctions supérieur avec le non-survol et l’interdiction de l’espace aérien à la Biélorussie, en plus des sanctions personnelles. Des sanctions économiques supplémentaires sont actuellement à l’étude, de façon à ne pas trop pénaliser le peuple biélorusse. Ce qui est sûr, c’est que ces sanctions sont une étape supplémentaire dans le refus des européens de considérer la Biélorussie comme un interlocuteur « normal ». Le détournement de cet avion et l’arrestation des opposants présents à bord est un point d’orgue dans le processus de dégradation des relations entre Minsk et l’Union européenne qui est à nouveau au point où il en était en 2004 avec les premières sanction prises par Bruxelles après la répression des manifestations à l’époque. Elles avaient été levées en 2016 compte tenu du rôle positif joué par Minsk lors de la crise ukrainienne. Nous sommes donc retournés à la case départ avec des doutes très profonds sur la viabilité du gouvernement et de l’État biélorusse.

La Russie, quant à elle, est le seul pays à avoir manifesté quelque compréhension pour l’action de Loukachenko. Cela étant, après un moment d’hésitation, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov s’est contenté de qualifier de « raisonnable » la proposition biélorusse de faciliter toute mission d’enquête. La posture russe se comprend avant tout par le souci de « tenir » le régime et par le fait que l’opposition à Loukachenko devient de plus en plus pro-occidentale et hostile à la Russie alors qu’à l’origine, elle était neutre.

Les relations entre Loukachenko et le Kremlin étaient exécrables jusqu’aux grandes manifestations qui ont suivi les élections truquées d’août dernier. Le nationalisme du président biélorusse s’est souvent exercé à l’encontre des intérêts russes : ce dernier avait refusé notamment la prise de possession des grandes entreprises nationalisées biélorusses par les Russes, il s’était opposé à la création d’une base russe et avait pris ses distances avec l’annexion de la Crimée. Il n’était donc pas un allié facile pour la Russie. Maintenant qu’il s’est mis au ban de la communauté internationale, il est clair que la Russie le tiendra un peu plus dans sa main.

Certaines organisations comme l’OTAN et l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) ont réagi à cet événement en se réunissant pour mettre en place des enquêtes internationales. Des députés ont aussi appelé à ne plus donner d’accès à la Biélorussie aux informations d’Interpol. Peut-on aussi s’attendre à des sanctions au-delà du continent européen ? Avec quelles conséquences pour le régime de Loukachenko ?

Il serait parfaitement logique que des organisations comme l’OACI prennent des sanctions contre la Biélorussie puisqu’il s’agit une violation caractéristique de ses règles, au moins implicites, concernant la liberté de circulation aérienne avec la Convention de Chicago et l’ensemble de normes du droit international. Il y a donc, tant au niveau multilatéral qu’international, des mesures de sanction justifiées contre cet acte qui s’apparente à de la piraterie d’État – même si l’arraisonnement de l’avion a eu lieu dans l’espace aérien biélorusse. D’autant que les prétextes – risque d’attentat du Hamas – invoqués par la Biélorussie ne sont pas du tout crédibles.

Pour l’OTAN, c’est autre chose, car cette organisation n’a pas de fondement caractéristique pour intervenir en dehors de la solidarité atlantique ou d’une volonté de  punition.

Quant à la limitation de l’accès aux informations d’Interpol, il semble qu’elle soit parfaitement justifiée, car il est clair que le gouvernement biélorusse considère comme terroristes de simples opposants politiques. Ainsi, se faire livrer, par l’intermédiaire d’Interpol, des informations sur des opposants politiques serait inconcevable. Nécessairement, cet organe devra moduler, discrètement ou officiellement, son mode d’interaction avec la Biélorussie.

Dans tous les cas la marginalisation internationale de la Biélorussie et sa dépendance vis-à-vis de la Russie en seront considérablement accrus.
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