Les dix jours d’affrontement ont-ils fait bouger la situation de conflit israélo-palestinien ?
Il y a des éléments nouveaux. D’abord, les affrontements internes à Israël entre juifs et arabes israéliens. Il n’y avait pas eu ce type d’affrontements depuis le début de la seconde intifada, à l’automne 2000. Entre la poussée de l’extrême droite en Israël et une sorte de désespérance suite à l’adoption en 2018 de la loi faisant d’Israël l’Etat de la nation juive, le fossé s’est élargi. Il y a quand même une part de haine réciproque qui va être quelque chose de difficile à gérer pour le gouvernement israélien, quel qu’il soit.
Le deuxième élément important c’est l’ouverture d’un débat aux
Etats-Unis sur le caractère inconditionnel du soutien à Israël. Ça, c’est vraiment tout à fait nouveau. Alors que ce débat était très marginal, de nombreux élus, comme Alexandria Ocasio-Cortez, mais aussi le jeune sénateur juif de Géorgie Jon Ossoff, ont appelé les deux parties à déposer les armes. Le sénateur
Bernie Sanders, juif lui aussi, appelle en terme très durs à cesser le soutien à Israël. L’organisation Human Rights Watch, une ONG classique pas radicale, avait aussi, dès avant les affrontements, qualifié la situation en Palestine occupée d’
apartheid. L’ouverture de ce débat est venue accélérer la décision d’aller vers un cessez-le-feu côté israélien.
Benjamin Netanyahou est au pouvoir en Israël depuis plus d’une décennie, on dit qu’il doit aussi son succès au fait qu’il a fait « oublier » le conflit avec les Palestiniens. Le premier ministre est-il affaibli par ce retour de la question palestinienne ?
Ce n’est pas certain. La position de Benjamin Netanyahou est fragile depuis longtemps : il est sous le coup d’un procès et il y a eu quatre élections de suite desquelles il n’est sorti ni vainqueur ni vaincu. Il est donc toujours un peu sur la brèche car il reste très clivant. C’est vrai que la nature des relations avec les Palestiniens n’est plus un sujet de débat en Israël. Auparavant, jusqu’au début des années 2000, le thème majeur de la campagne était : « Faut-il ou non négocier avec les Palestiniens ? ». Lors des quatre dernières élections ça n’a pas été un sujet. Les relais de communication d’Israël en France expliquent depuis des années déjà que ce n’est plus un sujet stratégique central, les accords diplomatiques avec plusieurs pays arabes n’ont fait que confirmer cette rhétorique.
Or, quand on fait la paix avec des gens avec qui on n’est pas en guerre, ça ne conduit pas à changer vraiment la situation. Même si les Israéliens ne veulent plus débattre de l’affaire palestinienne, les Palestiniens n’ont pas disparu. Ils sont toujours là, toujours occupés et il y a peu de chances qu’ils se convertissent tout d’un coup aux vertus de cette occupation. Le cessez-le-feu est un bien pour tout le monde, on va épargner des vies humaines, mais sans résolution politique, un jour ou l’autre, de nouveaux affrontements surgiront.
Côté palestinien, les tentions des dix derniers jours ne font que révéler plus encore la totale impuissance voire impotence de l’Autorité palestinienne, qui a du annuler les premières élections depuis quinze ans. Va-t-elle être contrainte de les organiser ces fameuses élections ?
L’Autorité palestinienne est quand même sous une pression terrible pour organiser des élections. Le moins que l’on puisse dire c’est que Mahmoud Abbas [le président de l’Autorité palestinienne] a été aux abonnés absents au cours de la période. Sa légitimité, qui était déjà faible, a vraiment volé en éclat : il a totalement montré son impotence, l’expression est juste. Abbas est coincé : s’il recourt aux élections il a toutes les chances de les perdre et s’il n’y recourt pas, on verra bien qu’il n’est qu’un roi nu, qui ne se maintient uniquement par une mascarade, sur la base d’un scrutin qui a eu lieu en 2005. Le Hamas pourra dire que ce sont eux qui défendent la cause palestinienne alors que Mahmoud Abbas ne fait rien. Bien sur, on pourra rétorquer que le Hamas provoque aussi des bombardements meurtriers, mais ce qui compte c’est qu’il redonne une certaine fierté aux Palestiniens.