21.11.2024
Mike Pence et Savonarole
Correspondances new-yorkaises
5 mai 2021
Des employés de Simon & Schuster – deuxième plus grand éditeur de livres aux États-Unis, derrière Penguin Random House – ont récemment exigé que leur maison d’édition cesse de faire affaire avec les responsables de l’administration Trump, à commencer par l’ancien vice-président Mike Pence dont le contrat porte sur la publication de deux livres, dont le premier est attendu en 2023.
Dans une lettre commune adressée aux dirigeants de Simon & Schuster, 216 de leurs salariés et plus de 3 500 personnes extérieures à l’entreprise – dont des lauréats du National Book Award – estiment que celle-ci ne devrait pas traiter la présidence Trump comme un chapitre normal de l’histoire américaine. Et qu’en publiant les livres de Pence, la maison d’édition ne ferait que contribuer « à propager l’idéologie suprémaciste blanche et se rendrait coupable de racisme, de sexisme et d’homophobie ». Rien que ça.
Jonathan Karp, l’un des patrons de Simon & Schuster, a répondu aux épistoliers que « censurer ou renoncer à publier un livre est la décision la plus extrême qu’un éditeur puisse prendre. Et que ce genre d’agissement était contraire à l’essence de Simon & Schuster, à savoir proposer de la diversité dans les écrits et les perspectives ». Puis, il a ajouté, « pour cette raison, nous allons honorer notre accord de publication avec le vice-président Mike Pence. » Point final.
Ce n’est pas la première fois qu’un publisher est confronté à pareille chose aux États-Unis. En mars 2020, l’éditeur Hachette et sa filiale Grand Central Publishing avaient renoncé à publier l’autobiographie de Woody Allen après un mouvement de protestation au sein de ses équipes. Des salariés estimaient qu’en raison des accusations d’agression sexuelle qui visaient le réalisateur de Manhattan, l’éditeur ne pouvait publier un tel ouvrage, et cela, bien qu’Allen ait été à deux reprises innocenté par des enquêtes judiciaires. Mais bon…
Rien d’aussi « sensible » avec le bouquin de Mike Pence qui devrait évoquer son parcours et les moments clés de son mandat de vice-président durant la présidence Trump, mais on appréciera néanmoins ici la ferme position de Simon & Schuster face à ce nouvel épisode de cancel culture.
Car on peut combattre les idées politiques de Mike Pence – ce qui est mon cas -, potentiel candidat républicain à la prochaine présidentielle, et reconnaître en même temps qu’il s’agit d’un honnête homme. Aucun crime ne lui a été imputé, aucun scandale ne l’a éclaboussé. Ancien vice-président des États-Unis, son témoignage est d’importance et sa liberté d’expression doit demeurer totale.
La seule chose que peuvent lui reprocher les signataires de la pétition adressée aux dirigeants de Simon & Schuster est de ne pas partager leurs idées ni leur vision du monde.
Et dire que ce sont eux, ces pétitionnaires, qui se présentent comme les protecteurs des valeurs issues de la révolution américaine, comme la liberté… Je serai curieux de savoir qu’elle aurait été leur réaction si aucun grand éditeur n’avait accepté de publier les mémoires d’Obama sous prétexte de divergences politiques.
Cette triste histoire en dit long sur ce que j’appelle avec ironie « le nouvel esprit de la démocratie en Amérique ».
Un nouvel esprit inspiré par de petits émules de Savonarole, inconscients de la dangerosité d’allumer des bûchers.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.