L'édito de Pascal Boniface

Liste noire à France Inter – France Culture : ma réponse

Édito
16 avril 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
La vidéo dans laquelle j’évoquais le fait d’être blacklisté à France Inter et France Culture a conduit leurs responsables à réagir pour démentir mes propos. Et, en réalité, confirmer mon constat.

Sandrine Treiner, directrice de France Culture, répond habilement. Selon elle, j’ai été plus invité entre 2015 et 2021 qu’entre 2011 et 2014, avant son arrivée. Le problème n’est pas là. La vraie comparaison devrait avoir lieu avec la période antérieure à 2011. Car je dis justement que si j’avais déjà quelques difficultés avant 2011, c’est la publication de mon livre Les Intellectuels faussaires, paru cette même année, qui a déclenché une réaction d’hostilité à mon égard de la part individus que je critiquais et de leurs amis.

Sandrine Treiner s’est dans un premier temps étonnée du procédé singulier que j’ai employé en me répandant sur les réseaux sociaux. En quoi n’ai-je pas le droit d’utiliser ma liberté d’expression pour critiquer France Inter et France Culture ? Je n’aurais donc non seulement pas droit d’antenne – antenne sur laquelle elle est par contre libre de me mettre en cause – mais je devrais également me taire sur les réseaux sociaux ! Ce sentiment quand on est un média important et reconnu d’être au-dessus du lot, de trouver scandaleux d’être mis en cause et de répondre avec mépris est problématique. C’est justement ce sentiment d’être intouchable lorsque l’on est une figure centrale du paysage médiatique que je critiquais dans Les intellectuels faussaires et qui m’a valu cette excommunication. La force de l’entre-soi a joué contre moi pour avoir enfreint le respect absolu de la règle : si tu veux être un insider, ne critique jamais un insider.

Sandrine Treiner affirme que j’ai été invité vingt fois depuis 2015. La plupart de ces invitations ont été faites par Xavier Martinet qui ne présente plus Les enjeux internationaux depuis, et les quelques autres sont dues à la présence de remplaçants estivaux dans la programmation.

Je n’ai jamais dit qu’il y avait une obligation de m’inviter, mais je peux quand même être surpris du fait que l’émission de géopolitique, Culture monde, diffusée quotidiennement avec quatre invités, n’ait jamais songé à le faire. Il doit y avoir une raison et donc la seule explication possible est sans doute ma crasse incompétence qui me rend incapable de tout commentaire géopolitique, quel que soit le sujet. Évidemment, je me félicite que les chercheurs de l’IRIS soient invités et reconnus, tout comme mon coauteur Hubert Védrine. Cependant, cela ne justifie pas mon absence, mais la rendrait au contraire encore plus visible.

Si dans un courrier de 2017, j’ai effectivement crédité Sandrine Treiner de ne pas intervenir dans le choix des invités, c’est elle-même qui a répondu en déclarant au Monde (15 janvier 2021) qu’elle « faisait explicitement part de [ses] préventions devant [ses] équipes. Cela a créé une zone de vigilance ». Je ne fais que reprendre ses propos.

Laurence Bloch, directrice de France Inter, s’est sentie obligée de répondre parce que mettre un universitaire à l’index pour ses idées n’est effectivement pas digne du service public. Mais sa réponse ne fait que confirmer ce que je dénonce. Elle annonce triomphalement, comme un démenti, que j’aurais été invité huit fois en dix ans sur les antennes de France Inter. C’est la réalité. Mais c’est un cas typique de désinformation à partir de faits exacts. Huit fois en dix ans, c’est moins que je ne l’ai été en une seule année avant 2011 et donc la publication de mon livre Les intellectuels faussaires. Sur ces huit fois, il y en a eu une en juin 2011, le livre venait tout juste d’être publié et c’est sans doute après ce passage que Philippe Val a piqué son coup de sang et a prononcé son interdiction. Restent donc sept passages. Quatre ont eu lieu dans les grilles d’été, quand ce sont des présentateurs ou des programmateurs qui font les remplacements et n’ont pas à être au courant des règles existant au cours de l’année. J’en avais même plaisanté une fois avec l’un des présentateurs qui m’avait invité. Une autre repose sur une émission réalisée par le groupe des radios francophones, et qui n’est donc pas spécifique à France Inter. Restent donc deux passages. Le dernier a eu lieu le 13 mai 2018. J’avais été mise en cause nominalement de façon odieuse par Pascal Bruckner, familier du procédé, lors de la matinale et ce passage constituait une sorte de compensation au droit de réponse qui ne m’avait pas été accordé. On notera que l’audience n’est pas tout à fait la même.

Oui, France Inter est une bonne station avec des émissions de qualité et on peut dire que Laurence Bloch a réussi ses mandats. Mais elle énonce une contre-vérité lorsqu’elle affirme que je ne suis pas interdit d’antenne puisqu’elle a repris l’interdiction qui prévalait sous Philippe Val. Cela restera comme une – très petite – tache sur son mandat, mais une tache néanmoins visible.

Les faits ont la tête dure : j’étais plus souvent invité sur ces stations dans les années 1990 alors que je débutais ma carrière et que l’IRIS était une petite structure. Alors qu’il bénéficie désormais d’une reconnaissance internationale, je n’ai pas la même exposition sur ces chaînes que des responsables de think tanks ou des géopolitologues de stature comparable.

Un producteur de France Culture m’a écrit pour me dire que la piètre qualité de mes ouvrages justifiait que je ne sois pas invité et que le mieux que je pouvais faire était de travailler pendant trois ou quatre ans en silence sur un livre qui me vaudrait alors d’être invité sur la station. Il me conseille également de retirer la première vidéo et de m’excuser publiquement sauf à être définitivement condamné sur la place de Paris. Vous savez quoi ? Je ne vais pas suivre ce conseil. Je vais continuer à m’exprimer librement en sachant que cela me ferme bien des portes, mais que cela me vaut aussi reconnaissance et encouragements d’une grande partie du public.

 

 
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