18.11.2024
Démocratie à Hong Kong : la bataille est désormais perdue. Mais elle aurait pu ne pas l’être.
Presse
5 avril 2021
Il faut rappeler que la date de la rétrocession est le 1er juillet 1997, mais cette dernière a été négociée avec le Royaume-Uni en 1984, soit plus d’une décennie plus tôt. Le regard que les puissances occidentales portaient sur la Chine n’était alors pas du tout le même. De paria, la Chine était devenue un partenaire dans l’opposition à l’Union soviétique, et l’ouverture économique insufflée par Deng Xiaoping faisait alors rêver à une démocratisation progressive de ce pays. La grande majorité des experts de la Chine croyaient à cette équation, ouverture + libéralisme économique = démocratisation, aux Etats-Unis en particulier – à l’exception de quelques isolés et pour autant plus lucides, comme Andrew Nathan. Même après Tiananmen, la croyance en une démocratisation progressive, et surtout inévitable, de la Chine est restée très présente, en se projetant sur plusieurs années, voire décennies. Dès lors, l’échéance de 2047, au terme de cette liminalité mal définie d’un demi-siècle, ne posait pas de problème majeur, la Chine ayant « le temps » d’accélérer ses réformes politiques d’ici-là et de « rejoindre » Hong Kong, l’inverse – le scénario que nous vivons cependant – étant considéré comme totalement impensable. Aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui croyaient aussi à l’impossibilité pour le régime chinois de se maintenir – à la manière de Gordon Chang et son ouvrage The Coming Collapse of China, publié en 2001. Enfin, les rapports de force n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, tant sur le plan économique que militaire, et la Chine était dans l’incapacité d’imposer son diktat sur Hong Kong. Mais en un peu plus de deux décennies, la Chine s’est affirmée comme la principale puissance économique mondiale et a ainsi isolé économiquement l’ancien territoire britannique – qui n’est plus qu’un des maillons de cet ensemble urbain et économique gigantesque autour de la rivière des perles, avec Canton et surtout Shenzhen et son boom. Elle a également vu son outil militaire se développer considérablement, ce qui rend les pressions moins évidentes. Et dans le même temps, non seulement son régime politique ne s’est pas effondré, mais non seulement il s’est durci en se dotant d’une posture nationaliste et d’une attitude plus décomplexée, et en plus il ne montre pas de signe de faiblesse permettant de prophétiser sa chute prochaine. La naïveté de 1984 et des années 1990 a laissé place à une résignation sur le fait que la Chine sera sans doute, en 2047, un régime autoritaire comme elle l’est aujourd’hui. ue la Chine sera sans doute, en 2047, un régime autoritaire comme elle l’est aujourd’hui.
Aurions-nous dû nous douter de la volonté du régime chinois de frapper toute volonté démocratique suite aux événements de Tiananmen ?
Pas vraiment. La répression violente du mouvement de 1989 s’est accompagnée d’une mise à l’écart de la Chine, pays à l’époque encore très pauvre, avec des pressions diplomatiques et économiques. C’est dans ce contexte que la politique étrangère chinoise se fit discrète dans les années suivantes, sur les recommandations de Deng Xiaoping, et à l’exception des tensions dans le détroit de Taiwan en 1996 la Chine ne mit pas en avant une politique étrangère – ou de son avis intérieure – agressive pendant cette période. Sans doute les pays occidentaux ont, là-encore, fait preuve d’une certaine naïveté, mais dans ce contexte d’immédiate fin de Guerre froide et de démocratisation de nombreuses sociétés, la tendance était à l’optimisme. Disons que Tiananmen a brutalement refroidi les espoirs de ceux qui croyaient à une démocratisation rapide de la Chine, mais n’a pas soulevé, à l’époque, d’inquiétude sur le fait que Pékin ait des intentions, et moins encore des moyens, d’exercer de fortes pressions sur ses voisins. C’est surtout au cours des quinze dernières années que les choses se sont accélérées et que la mainmise de Pékin sur Hong Kong s’est renforcée. Le développement spectaculaire de Shenzhen aurait sans doute dû nous alerter sur le fait que la Chine était en train de sortir d’une Hong Kong-dépendance, mais cela n’aurait pas changé grand chose. A part Taïwan, personne (le monde occidental) n’a vraiment vu venir ce durcissement et cette impossibilité de retour en arrière, mais personne n’a écouté Taïwan (comme trop souvent).
La génération de démocrates de la « toujours » région autonome seront-ils bientôt un lointain souvenir ? Les militants démocratiques représenteront-ils encore une lueur d’espoir de liberté ?
Hong Kong a le statut de région administrative spéciale, pas de région autonome (appellation qui concerne les provinces dans lesquelles vit une importante minorité, cinq au total: Xinjiang, Tibet, Mongolie intérieure, Ningxia et Guangxi). Mais au-delà des termes de la négociations évoqués plus haut et la transition de 50 ans, disons que ces appellations ne changent pas grand chose pour Pékin, qui estime devoir exercer son autorité sur ces différents territoires et rejette ce que les dirigeants chinois qualifient d’ingérence dans ses affaires intérieures. Bien sûr, le mouvement démocratique de Hong Kong est confronté dans ces conditions à une situation plus que difficile, et ses chances de survie sont quasi nulles. Mais les démocrates n’en demeurent pas moins essentiels, à plusieurs égards. d’abord pour porter un message, même clandestinement, et sensibiliser la population. Ensuite pour incarner un mouvement qui ne se limite pas à Hong Kong, mais concerne aussi et surtout Taïwan, que Pékin estime être le prochain territoire à « récupérer » inscrit sur sa liste. Le mouvement des parapluies de 2014 a révélé de profondes connections avec le mouvement des tournesols de Taïwan quelques mois plus tôt, et les liens sont restés très forts. Il n’est pas anodin que le gouvernement taïwanais fut le seul à apporter un soutien officiel au mouvement démocratique de Hong Kong, là où les pays occidentaux se sont montrés beaucoup plus frileux. La poursuite de ce mouvement, de ses idéaux et de son héritage, est aussi indispensable que l’est celui de Tiananmen, pour entretenir cette « lueur d’espoir », certes assombrie aujourd’hui, mais qui n’est pas totalement éteinte.
Propos recueillis par Atlantico