ANALYSES

Birmanie : quel dénouement ?

Presse
25 mars 2021
Depuis le coup d’État du 1er février, quelle est l’intensité de la répression ?

La répression est forte, marquée par une grande violence, des arrestations par milliers, la torture d’opposants. Policiers et soldats tirent à balles réelles, plus de deux cents manifestants ont été tués. Malgré cela, la junte ne parvient pas à juguler les protestations. En parallèle, un vaste mouvement de désobéissance civile paralyse le pays. L’administration birmane est en grève depuis plus d’un mois.

Qui, dans ce conflit, peut incarner l’opposition : Aung San Suu Kyi, malgré la crise des Rohingyas ? D’autres partis ? Les moines bouddhistes ?


Arrêtée dès le premier jour, Aung San Suu Kyi est privée de tout lien avec les manifestants. Son parti est ultra-dominant, il a remporté 83 % des suffrages en novembre. Mais, pour les Birmans, quoique symboliquement à la tête de ce mouvement, elle ne le contrôle absolument pas. Elle subit en ce moment une tentative de délégitimation de la part des militaires : elle n’aurait pas respecté les mesures sanitaires, elle serait corrompue… L’incapacité d’Aung San Suu Kyi à régler la crise des Rohingyas est réelle, mais on n’a pas de preuves qu’elle ait elle-même orchestré les massacres.

À ses côtés cohabitent de petits partis représentant les minorités, dans lesquels un tiers de la population birmane se reconnaît. Ces différents partis se sont joints aux manifestations. Certains pratiquent la lutte armée, notamment les Karens et les Shans. Ils disposent de stocks d’armes et sont désormais prêts à les utiliser contre le pouvoir militaire. Donc, il y a une espèce de rassemblement, pas totalement pacifiste dans ses composantes, mais en tout cas antijunte.

Les autorités bouddhistes n’ont pas encore de position claire. Une partie du clergé soutient les manifestants. L’autre, très conservatrice et xénophobe, se range derrière les militaires, notamment pour y trouver des gains financiers. Ce n’est pas un hasard si la junte a rouvert les lieux de culte emblématiques, sources de rentrées d’argent considérables. Donc, les militaires bénéficient de ce côté-là d’un soutien au moins partiel.

Peut-on espérer un dénouement pacifique vers la démocratie ?

Cela reste possible et j’y crois. Malheureusement, on risque de passer par des périodes très conflictuelles, parce que l’armée ne va pas lâcher du lest aussi facilement. Mais les lignes commencent à bouger. Le clergé bouddhiste projunte va être assez rapidement minoritaire. En 2007, les moines avaient déjà pris fait et cause pour la démocratie et joué un rôle décisif dans la fin du régime.

L’autre caractère essentiel, c’est la position des pays voisins. Au sein de l’Asean [Association des nations de l’Asie du Sud-Est], l’Indonésie a invité le pouvoir birman à accepter les protestations. Et puis, la Chine a réagi aux scènes de saccage de ses usines à Rangoon. Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, a proposé la médiation de son pays. Dès lors qu’on est médiateur, cela veut dire qu’on ne soutient pas inconditionnellement un côté contre l’autre. On mesure l’influence et l’importance qu’aura Pékin dans la suite des événements.

Soit la junte arrive progressivement à calmer les manifestants et à imposer un régime hybride à la chinoise sur certaines libertés individuelles, soit la détermination, notamment celle des jeunes Birmans l’emporte. Mais démanteler la junte birmane suppose une modification de la Constitution, qui octroie d’office 25 % des sièges parlementaires aux militaires. Aung San Suu Kyi et son parti voulaient organiser un référendum pour mettre fin à leurs privilèges. C’est pour cette raison que les militaires ont joué leur va-tout avec ce coup d’État. Ce qui est réjouissant, c’est la détermination des manifestants. Ça fait sept semaines maintenant que la mobilisation s’intensifie. On aurait pu craindre qu’après les scènes de violence la terreur s’installe. Or, il n’en est rien.
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