20.11.2024
Quel impact du Covid-19 sur les activités criminelles internationales ?
Tribune
22 mars 2021
Si la crise du Covid-19 et la crise économique ont impacté les trafics internationaux, les groupes criminels s’appuient sur leurs réseaux et leur puissance financière pour limiter ces perturbations. Surtout, ces groupes profitent de la vulnérabilité accrue des populations pour faire prospérer leurs activités et s’implanter davantage dans les territoires les plus défavorisés. Le point avec Antoine Diacre, coordinateur de la recherche à l’IRIS.
Quel impact sur les trafics illégaux ?
Les trafics illégaux internationaux sont intégralement implantés et bénéficient de la mondialisation. Dès lors, la pandémie du Covid-19 et la crise économique qui en découle affectent ces trafics et les groupes criminels qui les assurent, de manière très différente selon la nature des activités, les réseaux criminels, les marchés, l’implantation géographique, etc.
Le ralentissement de l’économie à l’échelle mondiale et la réduction des échanges internationaux (fermeture de frontières, transports ralentis, voire stoppés) ont entravé les principaux axes de communication et de distribution utilisés pour les trafics, alors que les confinements ont limité les déplacements, l’accès à la production et la distribution aux consommateurs.
Concernant les drogues, dès mai 2020, des pénuries ont été constatées sur les principaux marchés de consommation (Europe, Amérique du Nord, Asie) qui s’expliquent d’une part par l’entrave des circuits d’acheminement, notamment les voies aériennes et terrestres (la route des Balkans). Ces entraves ont forcé les trafiquants à modifier et repenser les routes commerciales, en se reportant notamment sur les voies maritimes généralement utilisées pour d’autres produits (cocaïne), moins affectées. D’autre part, ces pénuries de drogues s’expliquent par un approvisionnement réduit en matières premières (précurseurs chimiques pour la confection d’héroïne et produits servant à la confection des drogues de synthèse) auquel ont fait face les trafiquants. La conséquence directe de ces pénuries partielles dans l’approvisionnement de ces marchés est le risque d’une modification des comportements des consommateurs, qui pourraient substituer ces produits (héroïne) par d’autres, bien plus dangereux (opioïdes de synthèse, dont le tristement célèbre fentanyl).
Les restrictions de déplacements ont également affecté les trafics de migrants, mais principalement à court terme. Ainsi, Interpol assurait qu’entre mars et avril 2020, le trafic de migrants par voie aérienne avait complètement cessé en Europe. En revanche, les trafics via les voies terrestres et maritimes ont continué et se sont intensifiés du fait du report des trafics par voie aérienne sur ces routes.
Concernant la traite d’êtres humains (travail forcé, exploitation sexuelle), s’il est difficile de quantifier et de mesurer l’impact direct sur le trafic, il apparaît malheureusement évident que la crise actuelle nourrit la paupérisation à l’échelle mondiale et particulièrement dans les pays concernés par de telles pratiques (Asie du Sud, Afrique de l’Ouest et centrale, Amérique latine), exposant de plus en plus de personnes à ces groupes.
Les contrefaçons et les attaques cyber en hausse.
La capacité de réaction et d’adaptation des groupes criminels aux crises relève de leur ADN même et ces groupes s’appuient pour cela sur d’importantes liquidités financières, l’absence de barrières administratives, une « main-d’œuvre » massive et des consommateurs en nombre croissant.
Tout d’abord, l’impact sur les trafics mentionnés plus haut a été de court terme, puisque les groupes criminels ont donc très rapidement adapté leurs pratiques aux restrictions en utilisant d’autres voies ou des produits de substitution.
Tout en adaptant leurs activités courantes, les groupes criminels ont su en développer de nouvelles. La crise du Covid-19 a entraîné une augmentation massive et soudaine des besoins en différents matériels médicaux (masques, gels hydroalcooliques, tests de dépistage). Cette explosion de la demande a très largement favorisé l’augmentation sur les marchés de matériels contrefaits et défectueux. L’urgence et le pic de demande entraînant des pénuries de production et de livraison de ces marchandises n’ont fait que favoriser la mise en circulation de ces produits contrefaits sur les marchés internationaux. De même, le commerce de médicaments contrefaits et défectueux – antibiotiques en tête – a largement cru et l’OCDE estimait en mai 2020 que 96% des sites web vendant des produits pharmaceutiques étaient illégaux. De plus, Interpol alertait sur le risque de contrefaçons de vaccins et a annoncé, début mars 2021, que 2 400 doses de vaccins contrefaits ont été saisies en Afrique du Sud, et plus de 3 000 en Chine.
Enfin, les activités cybercriminelles se sont également massivement développées depuis le début de la crise, certains groupes s’étant spécialisés dans l’extorsion cybercriminelle.
La crise, une opportunité pour les groupes criminels ?
En premier lieu, la crise actuelle entraînera sans aucun doute une augmentation du nombre d’individus susceptibles d’être victimes de ces groupes criminels. Le risque est réel pour tous les trafics : la crise marginalise les populations les plus défavorisées, rendues particulièrement vulnérables à l’exploitation (travail forcé, exploitation sexuelle). Ces marginalisations risquent également d’entraîner une augmentation du nombre de migrants, davantage exposés aux risques (la modification des voies de trafic mène bien souvent à l’utilisation de routes plus dangereuses). Par ailleurs, la crise risque d’entraîner l’augmentation de la consommation de drogues et de consolider encore la demande, offrant aux narcotrafiquants un avantage conséquent et des moyens renforcés. Enfin, les petites entreprises en grande difficulté face à la crise actuelle sont autant des victimes potentielles d’usure. Cette pratique répandue, notamment en Italie, où l’on estime que 140 000 entreprises en sont victimes, soit deux fois plus que l’année précédente, présente de nombreux avantages pour les mafias : blanchiment d’argent, implantation locale et mainmise sur des populations, siphonnage de fonds institutionnels (étatiques et européens). De plus, une fois implanté, le groupe criminel bénéficie d’un rôle central dans la reconstruction d’après-crise.
Enfin, de nombreux groupes criminels ont profité de la crise et de leurs moyens financiers colossaux pour valoriser leur image et renforcer leur légitimité auprès des populations en se substituant à l’État pour subvenir aux besoins primaires des populations notamment par la livraison de nourriture ou de médicaments (Amérique du Sud, Italie, Brésil, Asie, etc.). À tel point de nourrir pour certains, selon Luis Rivera Velez, des ambitions politiques à l’échelle nationale, comme au Mexique.
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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.