“Israël-Iran, la longue guerre”, sur Arte : et Donald Trump souffla sur les braises d’un conflit sans issue
Le film débute avec l’arrivée au pouvoir de Khomeyni qui, d’emblée, désigne son ennemi Israël. Qu’est-ce que cela lui permet ?
Sa prise de pouvoir marque le début d’une guerre idéologique. Khomeyni saisit l’opportunité de la cause palestinienne pour donner une autre dimension à l’Iran chiite dans un monde musulman majoritairement sunnite. Avec la volonté de s’imposer comme un leader et de rallier à sa cause un maximum de pays. Khomeyni voulait aussi marquer une rupture avec le régime du Shah, qui entretenait de bonnes relations avec l’État hébreu et les États-Unis.
La crise des otages – cinquante-deux Américains retenus dans l’ambassade des États-Unis du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981 – est-elle le point de départ de cette « longue guerre » ?
C’est effectivement un vrai tournant dont on paye encore aujourd’hui les conséquences. Khomeyni, qui n’en est pas l’initiateur (elle est l’œuvre d’étudiants), va saisir l’occasion pour faire un coup politique interne. En validant cette prise d’otages, il radicalise sa révolution, ce qui va lui permettre d’éjecter tous les modérés. La République islamique s’engage alors dans une voie, l’antiaméricanisme, dont elle a fait un pilier de sa politique.
Toutes les tentatives de réconciliation ou de normalisation sont-elles vouées à l’échec ?
Cette politique antiaméricaine et anti-israélienne reste au cœur de la République islamique du guide spirituel Ali Khamenei. La remettre en cause, c’est contester le pouvoir. Le principe de la supériorité du religieux sur le politique est entretenu par ceux qui dirigent l’Iran. Ils tiennent les secteurs clés du pouvoir (justice, sécurité) et pour ces radicaux, la destruction de l’État d’Israël et la haine des États-Unis sont des marqueurs idéologiques.
Pourtant, les accords de 2015 semblaient ouvrir une nouvelle voie…
On pouvait effectivement croire que c’était le début de quelque chose. On n’a pas conscience de la portée du geste du président modéré Hassan Rohani [en fonction depuis 2013, ndlr]. Il prend un risque énorme contre l’avis des religieux et des plus radicaux. Il n’a aucune confiance dans les Américains, mais il sait qu’il n’a pas le choix et que cet accord dépasse la question du nucléaire. Il y va de la réintégration de l’Iran dans le système international et de la fin de sanctions économiques qui asphyxient le pays.
Quelles sont les conséquences du mandat de Trump dans les relations avec l’Iran ?
Il va laisser des traces. La défiance des radicaux est revenue au sommet, ils ne cessent de répéter qu’on ne peut pas faire confiance aux Américains. Les modérés sont délégitimés et considérés comme naïfs. Un message qui est passé auprès de la population, touchée de plein fouet par la crise et les sanctions économiques. Ça va compliquer l’éventualité d’une réouverture d’un accord avec la nouvelle administration américaine.
Joe Biden a pourtant annoncé vouloir renégocier l’accord…
C’est positif qu’il ait décidé de réduire les tensions. Après, il va falloir trouver un scénario acceptable pour l’Iran. Le pays, sous l’effet des sanctions, vient de subir trois années de récession et une inflation de 40 %. La situation économique et sociale est dramatique. Mais Biden a déjà soumis plusieurs conditions pour rouvrir les discussions. Il souhaite obtenir une renégociation des accords nucléaires, un traité sur la politique régionale de l’Iran et sur son programme balistique. Or, du côté iranien, les dirigeants veulent uniquement que les États-Unis reviennent dans l’accord de 2015. Il n’est pas question d’ouvrir de nouvelles négociations. Enfin, les frappes américaines du 26 février dernier contre des infrastructures utilisées par des milices pro-iraniennes en Syrie montrent que le chemin risque d’être long.
En 2019, des manifestations ont enflammé le pays. Le pouvoir iranien pourrait-il être renversé ?
Je ne crois pas en un changement brutal. Le pouvoir maîtrise toutes les forces de sécurité, et il n’hésite pas à tirer sur la foule. Par ailleurs, la classe moyenne urbaine n’est pas dans une logique révolutionnaire, elle veut un changement pacifique et démocratique. L’Iran est en train d’expérimenter une modernisation par le bas. Par exemple, le taux de fécondité par femme, qui était de six à sept avant la révolution, est tombé à deux. Dans les universités, il y a 50 % de femmes, et le régime ne peut rien y faire. Les jeunes veulent faire des études, les femmes se marient de plus en plus tard et les gens aspirent à la démocratie, à un État de droit et une ouverture sur le monde. On est aux antipodes du discours très idéologique et caricatural du pouvoir. Comment cela va se traduire politiquement ? Par un vote pour les plus modérés, à condition qu’ils sachent accompagner ce changement, se renouveler et être plus crédibles.
Propos recueillis par Étienne Labrunie