Gorbatchev : l’homme qui a changé le monde
Mikhaïl Gorbatchev vient d’avoir 90 ans, et les 4 et 5 mars, la Fondation Gorbatchev organise un colloque sous le thème « L’homme qui a changé le monde ». Je suis très heureux d’y intervenir. Gorbatchev a changé le monde comme peu d’hommes politiques l’ont fait, et il l’a changé en bien. Malheureusement, l’Histoire ne lui rend pas suffisamment hommage.
Lorsque Gorbatchev arrive au pouvoir, il veut changer l’Union Soviétique, et les relations qu’elle entretient avec le monde occidental. Il ne veut pas uniquement la fin de la « nouvelle » Guerre froide ou seulement revenir à la politique de détente mais créer une véritable coopération, une entente entre l’Est et l’Ouest. Il défend le multilatéralisme qui n’est pas encore globalisé au sein duquel le pire danger est celui d’une guerre nucléaire mais également celui des défis environnementaux, dont il sera l’un des premiers responsables politiques à les mettre à sur le devant de l’agenda. Son bilan est significatif : la fin de l’occupation de l’Afghanistan, la signature d’un accord sur les euromissiles, « option 0 » qui élimine totalement une catégorie d’armes nucléaires, l’accord sur le désarmement conventionnel, mais aussi le fait que chaque pays de l’Est puisse suivre sa propre voie. Ce n’est plus la doctrine Brejnev, c’est la doctrine Sinatra « My way ». L’URSS n’impose plus sa politique par la force, ce que démontre notamment la réunification allemande que Gorbatchev accepte alors qu’il y a encore 500 000 soldats soviétiques en Allemagne de l’Est.
Lorsqu’il arrive au pouvoir, beaucoup doutent de lui, tous les faucons de l’époque affirment qu’« il ne faut pas faire confiance à Gorbatchev ». Heureusement que Kohl, Mitterrand et même Reagan et Thatcher lui ont fait confiance, puisque finalement, il a mis fin à la Guerre froide de façon pacifique. On oublie souvent de citer un moment clé de la Perestroïka de Gorbatchev : en août 1990, il condamne l’invasion du Koweït par l’Irak. Pour la première fois, le Conseil de sécurité de l’ONU, en novembre 1990, adopte la résolution 678 qui prévoit l’usage de la force contre un pays qui a gravement violé le droit international. Pour la première fois, un membre permanent du Conseil de sécurité ne met pas son veto pour protéger un allié, et le Conseil agit comme il devait le faire, selon les rédacteurs de la Charte, ce que la division Est-Ouest empêchait jusqu’alors. Il agit comme une force de police internationale en faisant une guerre au service du droit, et non pas au service de la force. Malheureusement, la Perestroïka rencontre des difficultés en termes économiques puisque les États-Unis jouent toujours contre l’URSS, l’Arabie saoudite développe sa production pétrolière et le cours du baril de pétrole est à 15$ à l’époque. S’il avait été deux fois plus élevé, Gorbatchev aurait pu sans doute réussir sa Perestroïka. Si, dans ce nouvel ordre mondial, on avait donné réellement du pouvoir à l’ONU, que l’on avait réellement appliqué une entente entre les grandes puissances – ce qu’avaient souhaité les rédacteurs de la chartre – une grande partie des conflits que l’on connait aujourd’hui n’existerait pas de la même façon.
Mais du fait de la difficulté à mettre en place ses réformes, Gorbatchev, qui ne voulait pas mettre fin au système communiste, mais plutôt le régénérer, est bloqué. Il aura néanmoins offert une parenthèse de liberté : jamais les citoyens russes n’ont été aussi libres qu’entre 1985 et 1990, bien plus que sous le Tsar ou sous Staline, mais également plus que sous Eltsine ou Poutine aujourd’hui. Lorsque Gorbatchev se rend au sommet du G7 en juillet 1991, pour demander une aide économique, on la lui refuse. Khôl et Mitterrand étaient d’accord pour la lui accorder, tout comme Thatcher qui venait d’être remplacée par John Major. Finalement, Bush père refusera ce soutien financier à Moscou parce qu’il préférait voir Eltsine au pouvoir, sachant qu’il serait plus manœuvrable par les Occidentaux. Il voit aussi de façon positive l’implosion de l’URSS. Les États-Unis préfèrent gagner la Guerre froide que de bâtir un nouvel ordre mondial.
C’est un moment clé : après la tentative ratée de coup d’État d’août 1991, Gorbatchev quitte le pouvoir et Eltsine le remplace en faisant imploser l’URSS. Les États-Unis vont alors bénéficier d’un « moment » unipolaire pendant près de dix ans.
Poutine arrivé au pouvoir, va se rappeler des promesses non tenues des Occidentaux à l’égard de Gorbatchev. C’est l’une des sources de sa crispation à l’égard de l’Occident. Les Occidentaux ont préféré parier sur une partenaire faible et se sont trompés. Gorbatchev était un partenaire fiable, il l’a toujours prouvé et l’Occident l’a laissé tomber.
Les Russes, dont Poutine, en veulent à Gorbatchev car il a conduit à l’implosion de l’URSS et à l’affaiblissement de Moscou. Pour Xi Jinping, Gorbatchev est un cauchemar car il a conduit à l’effondrement du régime communiste. Le message qui a alors été envoyé est qu’un leader accommodant, voulant établir un véritable partenariat avec les Occidentaux, a été trahi et abandonné. Il y a évidemment d’autres raisons à la chute de l’URSS, le système était certainement déjà trop vieillissant et atteint pour être réformé, mais il n’empêche que Gorbatchev a été abandonné par les Occidentaux.
Dans la dernière partie du XXe siècle, deux hommes ont marqué de façon majeure et positive l’histoire du monde : Mandela et Gorbatchev. Mandela est unanimement respecté, Gorbatchev l’est moins. Or sa contribution pour la paix a certainement été plus importante encore que celle de l’ancien leader sud-africain : il a mis fin à un système injuste et à la division du monde. Mais de cette division du monde n’est pas né le nouvel ordre mondial, que les États-Unis ont célébré tout en faisant tout pour qu’il ne soit pas mis en place.
Ci dessous, le programme de la conférence célébrant les 90 ans de Mikhail Gorbatchev :
The Man Who Changed the World
International conference
Celebrating Mikhail Gorbachev’s 90th Birthday
Program
4 March 2021
3:30 pm— 4:00 pm. Opening session
Mikhail Gorbachev: Welcome message
Opening remarks: Olga Zdravomyslova (Executive Director at the Gorbachev Foundation, Doctor of Philosophy), Thomas Kunze (Head of Konrad Adenauer Foundation’s Moscow Office), Ivan Polyakov (CEO of the Interstate Corporation for Development), Oleg Zimarin (CEO of “Ves Mir” Publishing House), Boris Alyoshin (Academician, Russian Academy of Sciences)
16:00— 17:30
Panel 1. Meeting the challenge of the times: New thinking in the 21st century
Moderator: Pavel Palazhchenko (Head of International and Media Relations at the Gorbachev Foundation)
Presentations: Sergey Rogov (Academician, RAS, member of the Scientific Council of the Russian Council on International Affairs),Senator Sam Nunn (Nuclear Threat Initiative), Tatyana Parkhalina (President of the Association for Euro-Atlantic Cooperation; Advisor to the Director of INION RAS), Angela Stent (Professor of Government and Foreign Service, Georgetown University, USA), Dr. Reinhard Krumm (FES Regional Office for Cooperation and Peace in Europe, Vienna) , Pascal Boniface (Director Institute of International and Strategic Relations, France), Alexander Likhotal (Geneva School of Diplomacy and International Relations, Switzerland), Pavel Molchanov (Director and Analyst , Raymond James and Associates, Inc. USA, Founder of the Molchanov Sustainability Internship Program at Chatham House, Great Britain)