ANALYSES

Actualisation stratégique 2021 du ministère des Armées : que retenir ?

Tribune
23 février 2021


En janvier dernier, le ministère des Armées a présenté l’Actualisation stratégique 2021, une mise à jour de l’analyse du contexte stratégique auquel la France est confrontée depuis 2017. Le point avec Gaspard Schnitzler, chercheur à l’IRIS.

L’Actualisation stratégique 2021 a été présentée par le ministère des Armées en ce début d’année. Qu’est-ce qui justifie cette mise à jour de la Revue stratégique de 2017 ?

En effet, présentée par la ministre des Armées Florence Parly à l’occasion de ses vœux aux Armées le 21 janvier dernier, l’Actualisation stratégique 2021 est passée relativement inaperçue. Il s’agit d’un document d’une cinquantaine de pages qui vient compléter la Revue stratégique publiée en 2017, elle-même venant mettre à jour le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

Partant du constat selon lequel « certaines tendances déjà à l’œuvre se sont confirmées, d’autres se sont accélérées » et que « plusieurs éléments de rupture sont intervenus », le ministère des Armées a jugé bon de mettre à jour son analyse du contexte stratégique mondial, ainsi que l’évaluation des risques auxquels la France était confrontée depuis 2017.

Si dans l’ensemble, l’analyse du contexte stratégique et l’évaluation des risques demeurent sensiblement identiques, qu’il s’agisse des principales menaces (terrorisme, prolifération et retour de la compétition stratégique entre puissances) ou des priorités géographiques (Afrique, Moyen-Orient, Indopacifique), la pandémie mondiale du Covid-19 et un certain nombre d’évènements géopolitiques récents (sortie du Royaume-Uni de l’UE, tensions avec la Turquie en Méditerranée, conflit au Haut-Karabakh, entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), etc.) ont révélé de nouvelles vulnérabilités, obligeant le ministère à revoir sa stratégie.

Que peut-on retenir de l’analyse faite par le ministère des Armées de l’évolution du contexte stratégique mondial ?

De l’analyse du contexte stratégique, il convient de retenir quatre tendances structurantes : la révélation de fragilités structurelles, la généralisation du recours aux stratégies hybrides, le développement des politiques de puissance russe et chinoise, ainsi que l’enhardissement de puissances régionales.

Ainsi, la pandémie mondiale que nous traversons actuellement a mis en évidence les risques induits par la globalisation des chaînes de production ainsi que la dépendance de nos économies, notamment à l’égard de la Chine, appelant la France et l’Union européenne à mieux identifier les vulnérabilités sur les chaînes d’approvisionnement et à sécuriser certaines filières industrielles stratégiques. Dans le domaine de l’industrie de défense, cela implique notamment un renforcement du contrôle des investissements étrangers et une mise en cohérence des outils capacitaires au niveau européen, afin de consolider l’émergence d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) dont dépend notre autonomie stratégique.

Par ailleurs, la généralisation du recours aux stratégies hybrides (combinant des modes d’action militaire et non militaire, sous le seuil du « conflit ouvert ») et la tendance de certains États à imposer le fait accompli, appellent à renforcer notre capacité d’action sur l’ensemble du spectre, des actions dans le « champ immatériel » (cyber, électromagnétique) aux conflits de « haute intensité ». C’est avant tout sur ce dernier point que l’actualisation stratégique se démarque des documents précédents, estimant notamment que « l’hypothèse d’un affrontement direct entre grandes puissances ne peut plus être ignorée ». C’est pourquoi le ministère des Armées insiste une nouvelle fois sur le besoin de préserver « un modèle d’armée complet » (mêlant forces conventionnelles et forces nucléaires) et de poursuivre la remontée en puissance engagée depuis 2017, et ce afin de disposer d’une « masse critique » suffisante, tant en termes d’effectifs que d’équipements. On peut y voir les enseignements tirés de conflits récents ayant prouvé la capacité de puissances militaires « moyennes » à mener des conflits soutenus ou à se projeter, à l’instar de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh et des Émirats arabes unis en Libye.

Cette volonté de retrouver une certaine « épaisseur » pose la question des moyens après plusieurs décennies de réduction du format des armées, alors que le « contrat opérationnel » des armées françaises (fixé par le Livre blanc de 2013) prévoit une capacité maximale de déploiement de 15 000 soldats pendant six mois et que l’effectif total des armées françaises s’élève à un peu plus de 200 000 soldats (là où on estime à 1 million et 2,2 millions le nombre de soldats russes et chinois). Elle questionne également la résilience de la Nation et la disposition des citoyens à accepter les coûts humains et financiers qui en découlent.

Cette tendance ne peut être lue qu’à l’aune du développement des politiques de puissance russe et chinoise, que le ministère dénonce désormais de façon décomplexée, qualifiant la Russie de « puissance opportuniste et agile (…) dégradant la liberté d’action des puissances occidentales » et la Chine de « rival systémique pour l’UE ». Au-delà de la hausse des budgets de défense (+100% depuis 2012 pour la Chine) et des efforts de modernisation des armées russes et chinoises, l’Actualisation stratégique alerte quant à l’extension progressive des champs de confrontation au cyber et à l’espace, dont la militarisation est désormais actée (mise en service du planeur hypersonique Avanguard par la Russie, développement d’armes laser par la Chine…). En réponse, le ministère des Armées entend poursuivre la transformation de la stratégie de défense française engagée depuis 2017, ayant notamment conduit à la mise en place d’un Commandement de la cyberdéfense (2017) et d’un Commandement de l’espace (2019), ainsi qu’à la publication d’une Revue stratégique de cyberdéfense (2019) et d’une Stratégie spa­tiale de défense (2020).

Enfin, conséquence immédiate des tensions récurrentes en Méditerranée orientale, l’Actualisation stratégique dénonce l’enhardissement de pays comme la Turquie (citée à neuf reprises) qui « aspirent à s’affirmer en tant que puissances régionales » et n’hésitent pas à « s’imposer par le rapport de force ». Le ministère y voit une répercussion directe du recentrage américain sur la rivalité avec la Chine et la conséquence d’un recul de la présence militaire occidentale du flanc sud de l’Europe, notamment sur le pourtour méditerranéen.

Quelle analyse peut-on en faire ?

Si dans l’ensemble ce document ne constitue pas une rupture (l’Actualisation stratégique confirmant les tendances annoncées dans la Revue stratégique), il est important de noter que la chronologie de cette publication, à peine quatre ans après la dernière, n’est pas fortuite. En effet, au-delà des bouleversements provoqués par la pandémie du Covid-19, une actualisation de la LPM 2019-2025 est prévue d’ici la fin de l’année et devrait permettre de « consolider la trajectoire financière et l’évolution des effectifs jusqu’en 2025 ». Alors que le budget de défense français connaîtra cette année une troisième hausse consécutive de 1,7 milliard d’euros (conformément à la LPM) pour atteindre 39,2 milliards d’euros, l’arbitrage concernant les crédits budgétaires pour 2024 et 2025 n’est pas acté et devra prendre en compte « la situation macroéconomique à la date de l’actualisation » [1]. Par ailleurs, au moment où l’OTAN, l’UE (avec le Strategic Compass) et un grand nombre de pays se lancent dans des exercices d’analyse similaires, on peut y voir une volonté française d’influencer les processus en cours en partageant notre analyse de l’envi­ronnement sécuritaire international. Enfin, cette publication se veut un électrochoc à destination des autres États européens, rappelant l’importance de développer une autonomie stratégique européenne et de maintenir des ambitions budgétaires élevées (malgré la récession), afin d’éviter un « déclassement irrémédiable du continent européen ».

 

[1] Mise à jour : Auditionnée par la Commission de la défense nationale et des forces armées le 19 février 2021, la ministre des Armées Florence Parly a annoncé qu’au regard des conclusions de l’Actualisation stratégique « la LPM, ses ambitions et ses priorités conservaient toute leur pertinence » et que dans un tel contexte « il n’était pour l’instant pas prévu de procéder à une actualisation législative de la LPM » (telle que prévue à l’article 7). Néanmoins, des « ajustements » seront effectués sur « certaines ambitions portées par la LPM ».
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