20.11.2024
Les pressions sur l’eau, face ignorée de la transition énergétique
Presse
16 février 2021
On parle en effet des pressions sur l’eau dans le cadre des usages agricoles, de l’élevage et plus particulièrement de la production de viande, mais peu quand il s’agit du déploiement des technologies bas carbone. Dans un monde de plus en plus contraint par la ressource hydrique, cet enjeu va pourtant devenir incontournable, et l’est d’ailleurs déjà dans certaines régions.
Aux effets connus du réchauffement climatique sur le cycle de l’eau s’ajoutent les pressions anthropiques croissantes exercées sur les ressources en eau : entre 1900 et 2010, les prélèvements au niveau mondial ont été multipliés par plus de 7 alors que la population n’a été multipliée sur la même période « que » par 4,4. Certaines zones se retrouvent ainsi en état de fort stress hydrique, augurant des conflits d’usages croissants entre l’agriculture, l’industrie et la population, voire des tensions au niveau international.
L’eau et les métaux de la transition
Les technologies de la transition énergétique sont complexes et consomment certains matériaux en grande quantité. Le lithium, le cobalt ou encore le nickel sont ainsi devenus les métaux vedettes des batteries lithium-ion utilisées dans les véhicules électriques. Le cuivre, déjà omniprésent dans notre quotidien, pourrait voir sa demande exploser en relation avec les nouvelles mobilités mais également avec le solaire photovoltaïque (PV).
De manière globale, la dynamique de transition énergétique mondiale ne pourra se réaliser qu’à travers l’intensification des extractions minières à travers le monde et donc engendrer une augmentation de la consommation d’eau.
À l’échelle d’un pays, le secteur minier se trouve souvent bien loin derrière l’agriculture ou même d’autres secteurs industriels (au Pérou, par exemple, il pèse pour environ 1 % de la consommation en eau du pays contre presque 89 % pour l’agriculture). Il n’en demeure pas moins un important consommateur, notamment lors des phases d’extraction et de traitement des minerais et génère de nombreuses externalités sur l’eau (déversements de substances, drainages acides, etc.).
En outre, pour bon nombre de métaux étudiés, la production minière ou les activités de transformation sont effectuées dans des pays où la pression sur la ressource en eau est déjà forte et pour lesquels la situation hydrique n’est pas, dans l’état actuel des choses, amenée à s’améliorer dans les décennies à venir.
Très gourmande en eau, l’industrie des terres rares illustre bien cette problématique. Nos résultats révèlent en effet une pression accrue sur les ressources en eau dans au moins deux pays déjà soumis à des épisodes de fort stress hydrique : la Chine et l’Australie. Dans un scénario climatique contraint, la consommation en eau de l’industrie australienne des terres rares en 2050 représenterait plus de deux tiers (69,2 %) du prélèvement en eau de l’ensemble des secteurs industriels en 2015 ou encore 11,2 % de l’eau prélevée au total en 2015 dans le pays.
Or les terres rares ne sont pas les seuls éléments concernés par la politique minière volontariste de l’Australie : celle-ci figure dans le top 5 des producteurs mondiaux pour le lithium, le nickel, le cuivre le cobalt ou encore l’aluminium. On ne peut alors qu’imaginer l’empreinte eau du secteur minier dans un pays où les épisodes de sécheresse s’intensifient.
Bien que moins alarmant, le constat est similaire pour la Chine : la plus grande réserve de terre rares au monde – Bayan Obo en Mongolie intérieure – est située dans une zone de stress hydrique qualifié de « extrêmement élevé ».
Des conflits sur l’eau de plus en plus fréquents
Dans de nombreux autres pays miniers, les conflits autour de la ressource en eau représentent déjà une menace.
Au Chili par exemple, les activités d’extraction (cuivre et lithium) se concentrent dans le nord du pays, zone parmi les plus arides au monde. Ces dernières années, on constate un renforcement de la mobilisation des populations indigènes et des groupes environnementaux, appuyés récemment par le régulateur environnemental chilien, qui dénoncent l’épuisement de l’aquifère situé dans la zone du désert d’Atacama et les dommages causés aux écosystèmes. Les batailles juridiques se multiplient et ralentissent des projets miniers, comme celui de « Rajo Inca », un projet à 1,2 milliard de dollars mené par Codelco.
Malgré ses ressources en eau, le Pérou est soumis à un fort stress hydrique en raison de leur inégale répartition, des pollutions diverses et de la fonte des glaciers de la région andine. La rareté de l’eau et les investissements miniers élevés seraient les deux facteurs qui augmentent la prédisposition aux conflits dans la région. L’empreinte environnementale du secteur minier apparaît ainsi « la goutte de trop » : la pollution de 16 des 21 fleuves les plus contaminées serait due aux activités minières ou industrielles présentes ou passées selon l’Autorité nationale de l’eau (ANA).
La désalinisation, fausse bonne idée ?
La multiplication des conflits et la raréfaction de cette ressource mettent en péril les activités minières et demandent aux entreprises du secteur d’anticiper, de s’adapter et d’innover.
En réponse au défi de l’eau, ces dernières cherchent notamment à réduire leur consommation en améliorant l’efficacité de leurs procédés d’exploitation ou de transformation. Le développement d’un procédé innovant d’extraction directe du lithium adapté aux eaux des salars d’Argentine par IFP Energies Nouvelles et Eramet illustre par exemple ce type de défis. L’entreprise chilienne SQM, spécialisée dans le lithium souhaite ainsi grâce à ses innovations réduire sa consommation en eau de 30 % d’ici 2030.
Dans l’industrie du cuivre, l’amélioration des processus de recyclage de l’eau a permis de faire passer la part d’eau recyclée dans la consommation totale du secteur de 72,7 à 76,4 % entre 2018 et 2019.
Une autre option connaît un franc succès dans la région ces dernières années : le recours à la désalinisation. Cochilco (la Commission chilienne du cuivre) estime ainsi que l’utilisation d’eau de mer devrait plus que tripler à l’horizon 2029.
La viabilité d’une telle stratégie interroge toutefois dans la mesure où les installations de pompage, de traitement de l’eau de mer et d’acheminement de l’eau sur des milliers de kilomètres à travers les Andes supposent des investissements ainsi qu’une consommation en matériaux et en énergie conséquente. En bref, un procédé énergivore et à forte intensité matière.
L’exploitation des aquifères grâce aux procédés de forage est une autre des possibilités exploitées pour faire face au manque d’eau. Début 2020, au plus fort de la sécheresse australienne, Glencore optait ainsi pour cette dernière solution afin d’alimenter en eau sa mine CSA de cuivre située en Nouvelle-Galles du Sud. Là aussi, ces forages effectués pour exploiter des eaux souterraines déjà menacées interrogent.
L’empreinte eau, un indicateur mal connu
Dans ce contexte, l’enjeu de la consommation en eau devrait faire l’objet d’une sensibilisation plus importante auprès des citoyens pour aller dans le sens d’une plus grande sobriété. Il est notamment incarné par la notion d’empreinte eau, qui pour une population donnée correspond à la quantité d’eau utilisée sur le territoire pour répondre à l’ensemble de ses besoins. Elle incorpore ainsi, en plus de l’eau du robinet consommée, celle nécessaire à la production des biens et des services produits sur le territoire national mais également importés.
L’empreinte eau des citoyens des pays de l’OCDE est, en moyenne, plus élevée que celle des pays hors-OCDE. Celle d’un Français est par exemple supérieure à 200m3/habitant/an alors qu’elle est de 167m3/habitant/an au niveau mondial.
Plus encore, il s’avère que l’empreinte eau française est environ trois fois supérieure au volume d’eau consommé à l’échelle domestique. À l’instar de l’empreinte carbone, une large portion du bilan en eau d’un français vient du fait que la consommation d’eau pour produire les biens et services importés en France est supérieure à celle des biens et services exportés de France.
Cette non-prise en compte de l’empreinte eau accentue le décalage entre la perception de l’usager sur sa consommation et la réalité des impacts de son mode de vie sur la ressource en eau. Cette perception est d’autant plus aggravée qu’il existe une forte tolérance vis-à-vis des fuites d’eau potable des canalisations (environ 20 % de l’eau serait perdue) par les citoyens et les opérateurs, évitant à ces derniers d’investir massivement dans la maintenance des infrastructures.
Comme pour la sobriété énergétique ou en matériaux, une modification des comportements d’achats est nécessaire et elle passera par une meilleure information du consommateur avec, par exemple, un étiquetage obligatoire du contenu en eau des produits.
Recycler les minerais
L’empreinte environnementale relative à l’eau des minerais recyclés est bien inférieure à celle des minerais directement extraits du sous-sol. La consommation en eau peut être divisée par 5 dans le cas des terres rares, par 10 dans le cas du cuivre ou même par 20 dans le cas du cobalt. Lorsque l’on sait que seulement 42,5 % du total des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) ont été recyclés au sein de l’Union européenne à 28 en 2019, la promotion de la collecte et du recyclage apparaît être un levier intéressant à mobiliser.
La mise en place par les pouvoirs publics de politiques publiques allant dans le sens d’une économie circulaire pourrait par ailleurs être porteuse de bénéfices allant au-delà de la réduction de la pression sur les ressources.
Selon l’Institut de l’économie circulaire, elle permettrait la création ou le renforcement de filières créatrices d’emplois, argument d’autant plus pertinent dans le contexte de la crise économique générée par la pandémie de la Covid-19. Elle permettrait également de renforcer la souveraineté de l’État français et plus largement des pays de l’Union européenne dans leur approvisionnement en métaux critiques.
Enfin, appuyer la recherche et l’innovation autour des procédés industriels de pointe est également un levier pour améliorer la gestion de l’eau dans le secteur tout en consolidant le rayonnement des entreprises françaises à l’international.
L’or bleu : bien commun ou bien privé ?
L’industrie minière, mais également les populations vont aussi devoir faire face à l’augmentation de l’incertitude autour des conditions d’accès à l’or bleu. On voit en effet deux phénomènes antagonistes se développer.
D’une part, on observe un mouvement de marchandisation de la ressource en eau dont la dernière manifestation hautement symbolique est l’introduction d’un contrat à terme sur l’eau sur le Chicago Mercantile Exchange fin 2020.
D’autre part, certaines populations ou collectivités revendiquent l’eau en tant que droit humain fondamental et entendent s’opposer à l’accaparement de celle-ci par le secteur privé.
Parmi les pays évoqués ici, le Chili est un exemple évocateur. Plébiscité par le peuple chilien, le projet de nouvelle constitution pourrait redonner à l’eau, privatisée depuis 1981, le statut de bien commun, ce qui engendrera des incertitudes pour le secteur minier.
Ce mouvement de réappropriation de l’eau en tant que bien public est également observable dans certains pays occidentaux. C’est par exemple ce qu’il s’est passé à Paris avec la remunicipalisation du service public de l’eau en 2009 et, depuis 2010, la régie Eau de Paris en assure toute la distribution.
Bien qu’elle soit un modeste usager d’eau à côté du secteur agricole, l’industrie minière devra, comme tous les autres secteurs, composer dans un monde où le spectre de la crise de l’eau redoutée par les Nations-Unies risque de devenir bien réel et où chaque goutte d’eau consommée comptera.
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Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles, Auteurs fondateurs The Conversation France; Charlène Barnet, Économiste, IFP Énergies nouvelles et Gondia Sokhna Seck, Spécialiste en modélisation et analyse des systèmes énergétiques, IFP Énergies nouvelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.