ANALYSES

La stratégie de militarisation nord-coréenne à l’épreuve de la nouvelle administration américaine

Tribune
5 février 2021
Par Jérome le Carrou, spécialiste de l'Asie


Le 14 janvier 2021, sur la place Kim Il-Sung à Pyongyang, la Corée du Nord a dévoilé ce qui pourrait devenir l’arme la plus puissante au monde, un missile balistique à lancement sous-marin (SLBM) Pukguksong, ainsi que de nouveaux missiles balistiques à courte portée, en clôture du congrès du Parti du travail.

Une scène qui rappelle celle du 10 octobre 2020, au cours de laquelle la Corée du Nord avait exhibé un nouvel ICBM monstre, le missile balistique intercontinental Hwasong-16, missile à propulseur liquide de deux étages, de 25 à 26 mètres de long et 2,5 à 2,9 mètres de diamètre, équipé d’un véhicule post-boost (VPB) installé à l’avant et permettant le développement d’un missile à têtes nucléaires multiples (MIRV).

Aucun diplomate étranger n’avait été convié à cette parade militaire parfaitement synchronisée sous les yeux du leader nord-coréen Kim Jong-Un. Les observateurs ont donc dû attendre les images en différé de la télévision nord-coréenne pour analyser la montée en puissance militaire du régime.

Quel sera le véritable impact de la stratégie de modernisation de l’arsenal nucléaire nord-coréen sur les relations diplomatiques entre Pyongyang et Washington, à l’aube d’une nouvelle administration américaine ?

Pyongyang entre dissuasion nucléaire et autonomie économique

La parade du pays le plus militarisé au monde constitue le point d’orgue d’une série de signaux envoyés par Pyongyang au cours de l’année 2020. Le moratoire sur les essais nucléaires et les missiles à longue portée est bel et bien terminé et le programme d’armement nucléaire est de nouveau actif et constitue même une priorité.

Un autre signal est donné par la montée en grade fulgurante de Ri Pyong Chol, nommé au plus haut rang de l’armée nord-coréenne. Ri qui était auparavant général de l’armée, a sauté la hiérarchie pour devenir maréchal, du jamais vu pour quelqu’un n’appartenant pas à la dynastie Kim. Son ascension reflète ainsi l’intention du régime d’aller de l’avant avec la construction et le déploiement d’armes stratégiques.

Lors du 8e congrès du parti en janvier 2021, Kim Jong-un a consolidé son autorité en étant nommé secrétaire général du parti du travail, reprenant le titre de son défunt père Kim Jong-Il.

La Chine qui est le premier partenaire commercial de la Corée du Nord et son plus proche allié a immédiatement félicité le dirigeant nord-coréen. Xi Jinping aurait déclaré que « la Corée du Nord, sous la direction de Kim Jong-Un, pourrait atteindre ses objectifs de développement économique et social et un plus grand succès dans le développement du socialisme », selon l’agence de presse officielle chinoise Xinhua.

Les médias d’État nord-coréens ont également déclaré que Xi Jinping avait exprimé sa volonté de préserver la paix et la stabilité régionale, le développement et la prospérité, et de renforcer les relations entre les deux pays pour le plus grand bonheur des deux peuples.

Lors de ce congrès, Kim Jong-Un y laisse entrevoir les prémices des futures relations diplomatiques avec la nouvelle administration américaine. La rhétorique apaisée mise en avant sous l’ère Trump semble s’être diluée pour laisser place à une rhétorique plus hostile. Kim Jong-un a ainsi qualifié les États-Unis de « plus grand obstacle au développement » et « d’ennemi » de la Corée du Nord, justifiant le renforcement de la dissuasion nucléaire.

Kim Jong-un souhaite « conduire la diplomatie dans la bonne direction » et garantir la « paix » sur la péninsule coréenne.

Cependant, si la position américaine qui demande un désarmement nucléaire complet et total avant que les sanctions ne puissent être assouplies ne change pas, il est fort probable que Kim continue à développer à grande vitesse son arsenal d’armes nucléaires tactiques à longue portée.

Un levier souvent utilisé par la Corée du Nord pour faire pression sur Washington dans les négociations sur la dénucléarisation et les sanctions économiques.

Kim Jong-un a aussi fait part de son nouveau plan quinquennal prônant l’autosuffisance et une plus grande intervention de l’État pour redresser l’économie. Il envisage par exemple de devenir moins dépendant des importations, de développer presque toutes les industries et de réformer l’administration.

La position de la nouvelle administration américaine

Si les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord s’étaient améliorées après le sommet de Singapour de 2018 et la visite de Donald Trump à la frontière nord-coréenne le 30 juin 2019, peu de progrès semblent avoir été réalisés depuis.

Les pourparlers de dénucléarisation entre Pyongyang et Washington sont restés dans l’impasse après que les négociations s’étaient effondrées en raison de désaccords sur ce que la Corée du Nord était prête à abandonner en échange d’un allégement des sanctions.

Les récentes démonstrations de force du 10 octobre 2020 et du 14 janvier 2021 puis le récent discours de Kim Jong-un indiqueraient même un retour en arrière dans les relations diplomatiques entre Pyongyang et Washington.

« L’administration Biden pourrait se retrouver avec moins de pouvoir de négociation que Trump, compte tenu des progrès impressionnants réalisés par la Corée du Nord dans le développement d’armes et de missiles nucléaires » depuis 2018, a déclaré récemment Sue Mi Terry, une ancienne analyste de l’Asie de l’Est à la CIA.

Dans le rapport 2021 Index of US Military Strength, la Fondation Héritage a déclaré que la Corée du Nord constituait une menace majeure pour les intérêts vitaux des États-Unis avec cette nouvelle progression de ses capacités nucléaires.

En effet, le nouvel ICBM pourrait atteindre le continent américain et lâcher plusieurs têtes nucléaires simultanément, ce qui représenterait une menace d’un ordre nouveau pour le système de défense antimissile américain.

Les experts de la défense américaine s’inquièteraient également de la complexité et de l’investissement financier nécessaire pour intercepter le missile Hwasong-16. « Fabriquer un nouveau missile coûte moins cher qu’un système de défense fiable et compréhensif incluant des censeurs, de la haute technologie et des intercepteurs pour chaque tête nucléaire », affirme Melissa Hanham, directrice du Open Nuclear Network.

En effet, si la première ogive était abattue par un système de défense antimissile américain, la deuxième ou peut-être la troisième ogive saturerait les défenses et détruirait la cible visée. Des vérifications supplémentaires semblent cependant nécessaires pour déterminer si la Corée du Nord dispose bien d’une technologie de rentrée atmosphérique.

Même si le nouvel ICBM n’est pas encore opérationnel et pourrait être une simple maquette, les responsables gouvernementaux sud-coréens et américains prévoient que la Corée du Nord soit en mesure de le tester en 2021, profitant des transitions gouvernementales en Corée du Sud et aux États-Unis pour marquer les esprits et augmenter son rapport de force en vue de négociations futures.

« La Corée du Nord a historiquement lancé de fortes provocations au cours de la première année d’une administration américaine et sud-coréenne », a déclaré Bruce Klingner, ancien analyste de la CIA et chercheur principal à la Fondation Héritage « Nous pouvons nous attendre à voir un événement majeur, peut-être un lancement du nouvel ICBM au début de 2021. »

L’administration Biden qui a nommé Kurt Campbell, un architecte clé du pivot américain vers l’Asie, haut responsable politique de la région, devra communiquer sur sa position dans les semaines qui suivent l’investiture.

Une chose est certaine : Washington devra vraisemblablement faire le premier pas et s’astreindre à utiliser la diplomatie comme arme pour éviter un affrontement avec Pyongyang tout en rassurant ses alliances d’Asie de l’Est comme le Japon et la Corée du Sud, sur sa capacité à maintenir une stabilité régionale.
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