20.11.2024
Crise du gouvernement italien : vers un Conte-Ter ou la nomination d’un nouveau président du conseil ?
Tribune
2 février 2021
Seulement quelques jours après avoir présenté sa démission auprès du président du Conseil italien, Giuseppe Conte a renouvelé sa requête mardi dernier. Les raisons sont toujours les mêmes : un manque d’accord entre les différents partis pour la construction d’un gouvernement solide. C’est au président de la République Mattarella de gérer à présent cette situation qui renvoie les institutions italiennes à leurs maux. C’est la troisième crise politique en moins de deux ans.
Une instabilité historique
La situation actuelle pourrait sembler être une passade due à une période particulière de la scène politique italienne, notamment la baisse d’attractivité des partis historiques et la montée de nouvelles tendances comme celles de la Lega ou du Mouvement 5 étoiles. Mais ce n’est pas le cas : depuis l’unification de l’Italie en 1861 les gouvernements italiens ont toujours eu de grandes difficultés à terminer leurs législatures. Par exemple, à la fin du XIXe siècle, Agostino Depretis fut trois fois président du Conseil et forma huit gouvernements différents ; puis ce fut le tour du président Rudinì (cinq gouvernements au total), de Francesco Crispi (quatre gouvernements) et de Giovanni Giolitti, connu pour ses allers-retours au Palazzo Chigi pendant toute sa carrière politique. La monarchie parlementaire italienne n’a donc jamais été stable, sauf durant les 20 ans de la dictature fasciste.
En 1946, l’avènement de la République italienne et d’un nouveau format constitutionnel pouvait être l’occasion d’avoir une plus grande constance politique. Mais il n’en est rien : en 75 ans, l’Italie a eu 66 gouvernements différents, et seulement deux présidents du Conseil – Alcide de Gasperi et Silvio Berlusconi – ont complété leur mandat sans démissionner.
Nous pouvons noter tout de même une amélioration depuis la seconde République, en 1994. Si la moyenne d’un gouvernement jusqu’à cette date était de moins d’un an, elle a aujourd’hui doublé. Mais ces chiffres encourageants sont relatifs. Les majorités survivent parfois à grand renfort de transferts de députés d’un camp à l’autre, où des coalitions difficiles naissent, comme celles que nous voyons depuis deux ans. Plus de stabilité certes, mais une ligne politique parfois encore plus floue que précédemment et qui ne tient que par des accords sur des points précis, sans avoir une prospective réelle.
D’où vient cette nouvelle crise gouvernementale
Lors du mois d’août 2019, Matteo Salvini avait exprimé son mécontentement et avait tenté de prendre “les pleins pouvoirs”, conforté par des sondages encourageants. La situation était donc claire : le leader de la Lega voulait devenir président du Conseil, car en tête dans les sondages. La rupture de l’alliance avec le Mouvement 5 étoiles était due à un objectif politique évident.
Pour cette nouvelle crise, commencée en décembre, mais qui ne prend vraiment forme que durant le mois de janvier, la situation n’est pas aussi limpide. Elle ne l’est d’ailleurs pas non plus pour les Italiens : 70% de la population n’a pas compris pourquoi ce gouvernement était en crise. Les experts aussi peinent quelque peu à présenter de manière compréhensible les raisons de ce chamboulement politique plutôt inattendu.
Matteo Renzi et son parti Italia Viva soutenaient le gouvernement de Giuseppe Conte, mais d’une manière assez détachée, votant parfois à faveur de la coalition et s’abstenant sur d’autres points. Mais les rapports entre l’ancien et l’actuel président du Conseil se sont détériorés lors des dernières semaines. Le point de désaccord principal qui a porté à cette fracture concerne la gestion des fonds européens pour la relance du pays. Giuseppe Conte proposait de former une équipe d’experts, une task force, afin de gérer les fonds au mieux et de manière proportionnelle aux besoins de chaque secteur d’activité. Matteo Renzi s’est fermement opposé à cette idée qui lui semble peu démocratique, car aucun représentant du peuple ne pourrait avoir à redire sur ce plan financier. Un point fondamental qui ouvrit définitivement la brèche de la discorde entre les deux hommes. La sortie du groupe parlementaire d’Italia Viva de la coalition affaiblissait fortement la majorité gouvernementale, assez pour demander un vote de confiance aux deux chambres.
Pourquoi le gouvernement peine à se former
Le système transalpin est un suffrage universel indirect. Les Italiens votent pour un parti qui nomme des membres des chambres selon un système mixte : 37% sont élus à la majorité et le reste à la proportionnelle. Ensuite, le président de la République commence la phase de consultations de chaque groupe parlementaire, des représentants des coalitions ainsi que des ex-présidents de la République et des sénateurs à vie, pour enfin nommer un président du conseil qui formera un gouvernement.
Par ce système et par le paysage politique actuel, de nombreux partis peuvent avoir une influence sur la création du gouvernement. À ce nombre important de groupes, il faut ajouter une forte disparité politique entre les partis, ce qui ne facilite pas les coalitions. Dans cette situation, il est bien difficile de trouver un accord, car les divergences sont telles qu’une entente semble quasi impossible. L’expérience du gouvernement Jaune-Vert (Ligue et Mouvement 5 étoiles) était une tentative de démontrer qu’une ligne commune était possible par l’intermédiaire de points indérogeables (la sécurité des frontières pour la Lega et le revenu de citoyenneté pour le Movimento) acceptés par tous. Ce format n’a duré qu’un an.
Aujourd’hui, la situation semble encore plus complexe, car elle est conditionnée par les anciennes alliances qui ont échoué, tout en laissant une possibilité de nouvelle collaboration. Ainsi La ligue ne veut plus travailler avec le Mouvement 5 étoiles, mais ouvre à une possible coalition plus large. Le Parti démocrate ne souhaite plus collaborer avec Italia Viva, mais reste ouvert à la discussion.
Un nouveau groupe de dix sénateurs, les “responsables”, n’aide pas non plus à la clarté. Il est constitué d’anciens sénateurs de tout bord et est favorable au maintien de l’actuel président du Conseil dans ses fonctions. Ce bloc a par ailleurs le nombre suffisant de sénateurs pour participer aux discussions avec le président de la République Mattarella pour la formation d’un nouveau gouvernement.
De plus, la constitution d’un nouveau gouvernement prend du temps, en moyenne une dizaine de jours. Si aucune solution n’était trouvée, des élections anticipées seraient organisées, ce qui bloquerait le pays plusieurs mois. Une période durant laquelle aucune décision importante ne peut être prise. En pleine crise sanitaire, cette option ne serait pas la plus favorable. Les élections ne sont par ailleurs pas envisagées : aucun parti – pas même Italia Viva de Matteo Renzi – ne souhaite d’élections anticipées. Seuls les partis d’extrême droite y sont favorables, car les sondages les donneraient grands gagnants d’un nouveau vote qui pourrait placer Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) leader de la droite dure.
La consultation de la dernière chance
Le président de la République Sergio Mattarella a décidé ce vendredi de nommer le président de la chambre des députés, Roberto Fico, comme consultant pour trouver une nouvelle coalition capable de former un gouvernement. Monsieur Fico fait parti du Mouvement 5 étoiles, ce qui redonne de l’importance au Movimento (qui a le plus grand nombre d’élus dans les chambres), en charge de construire l’alliance large.
Une responsabilité qui remet le Mouvement fondé par Beppe Grillo sur le devant de la scène, mais qui pourrait aussi être son coup de grâce. Une fuite des députés et sénateurs avait déjà eu lieu lors des deux dernières années suite aux accords avec la Lega et le Parti démocrate. Pour de nombreux partisans du Mouvement, cette nouvelle possible collaboration avec les adversaires perpétuelles comme Matteo Renzi serait une aberration en opposition avec les valeurs fondatrices des 5 étoiles, à savoir ne jamais collaborer avec les partis de la vieille politique italienne.
Roberto Fico devrait trouver un nombre suffisant de députés et de sénateurs pour que Giuseppe Conte reste en place, encore faut-il qu’il accepte. La vraie inconnue est avec quelle majorité. Une carte inattendue pourrait être jouée par Forza Italia et Silvio Berlusconi, qui pourrait être le lien entre tous les partis modérés. Un paradoxe, car quasiment tous les partis ont toujours lutté contre lui, mais pourraient se retrouver à la table des négociations avec le Cavaliere comme modérateur et fédérateur. Une hypothèse qui semblait peu probable il y a encore quelques semaines, mais qui pourrait prendre forme en cas d’impasse gouvernementale.
Mais cette solution ne ferait que repousser le problème, à moins que d’ici les prochaines élections (prévues en 2023) un leader fort soit capable de prendre assez de voix pour avoir une majorité solide dans les hémicycles. Dans tous les cas, les secrétaires de partis ont tout intérêt à trouver un accord et à attendre les prochaines élections : tous les hommes politiques qui ont provoqué une crise gouvernementale ont perdu des électeurs et des élus lors de l’élection suivante.