ANALYSES

Birmanie : un coup d’État prévisible ?

Interview
1 février 2021
Le point de vue de Barthélémy Courmont


La Birmanie vient de connaitre un nouveau coup d’État militaire. Alors que Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement et prix Nobel de la paix, a été arrêtée, le général Mint Swe a été nommé président par intérim du pays et l’état d’urgence a été déclaré. Cet évènement arrive alors que le pays est déjà retranché sur lui-même entre Covid-19 et tensions ethniques. Entretien avec Barthelemy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique

Le nouveau coup d’État birman était-il prévisible ? C’était malheureusement prévisible, à la lumière des fortes contestations du résultat de l’élection du 8 novembre dernier par les militaires et le parti portant leurs intérêts. Plusieurs observateurs occidentaux ont d’ailleurs mis en garde, vendredi dernier, contre le risque d’un coup d’État et invité les militaires à reconnaître le résultat de cette élection. De manière plus structurelle, l’armée reste très puissante en Birmanie, en dépit de la transition démocratique amorcée en 2011, affirmée avec l’élection de novembre 2015 et l’arrivée au pouvoir de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi. Cette transition démocratique, dans un pays très pauvre (le plus faible en PIB par habitant de l’Asean) et très isolé pendant cinq décennies, devait par ailleurs s’accommoder d’une constitution héritée de la période de la junte, d’une loi sur la citoyenneté (dont sont privés, à cette occasion, les Rohingyas) qui date de 1982, d’une représentation automatique et sans scrutin (à hauteur de 25%) de parlementaires issus de l’armée, mais aussi de postes clefs, comme les ministères de l’Armée, de l’Intérieur et des Frontières, qui sont restés entre les mains des militaires. La démocratie birmane doit vivre ainsi depuis cinq ans en cohabitation, difficile, avec ceux qu’elle a combattus pendant des décennies. On sait aussi à quel point la crise des Rohingyas (savamment activée par les militaires, sans surprise) a terni l’image du pouvoir birman à l’étranger, dans le monde occidental surtout, avec des accusations souvent hâtives contre le gouvernement, sans tenir compte des réalités de ce pays et de l’absence d’alternative démocratique. La démocratie birmane n’en fut que plus fragilisée. Comment ne pas non plus mentionner le rôle des autres pays de l’Asean, sans doute inquiets de voir la Birmanie prendre trop d’importance, et peu soucieux de soutenir la transition démocratique, mais aussi de l’Inde et la Chine.

La chute de la démocratie birmane est une faillite aux responsabilités multiples, et elle était malheureusement prévisible dès lors que les soutiens se faisaient rares.

Quelles sont les raisons de ce coup d’État ? L’accusation de fraudes électorales mise en avant par l’armée pour le justifier est-elle véridique ?Ces accusations sont à l’image de la junte birmane : orwelliennes. La NLD a rassemblé 83% des scrutins, plus encore qu’en 2015. Cette élection a été suivie par des observateurs internationaux qui n’ont pas relevé d’irrégularités à grande échelle, en dépit des accusations des militaires (ce n’est pas la première fois d’ailleurs que les militaires birmans dénoncent un résultat électoral et organisent un coup d’État, pratique dont ils sont devenus experts). Et il suffit de voir la ferveur des Birmans pour la NLD et Aung San Suu Kyi, véritable icône dans son pays, pour mesurer le décalage entre les accusations délirantes de l’ancienne junte et la réalité politique de la Birmanie aujourd’hui. Rappelons, parmi autres fantaisies propres à la junte quand elle était au pouvoir, le déplacement  de la capitale à Naypidaw inspiré par la chiromancie, le changement du nom du pays, du drapeau, l’interdiction faite à toute personne ayant eu des enfants avec un étranger d’accéder au pouvoir (taillé sur mesure pour Aung San Suu Kyi, qui a eu deux enfants avec un universitaire britannique)… Voir les héritiers d’un régime totalitaire aujourd’hui dénoncer une élection démocratique est en soi suffisant pour comprendre le caractère orwellien de cette démarche, mais aussi la volonté, à tout prix, de casser la démocratisation en marche dans ce pays.

Quelle est la situation actuelle en Birmanie, qui en plus du coup d’État doit faire face à la pandémie du Covid-19 et à de violents affrontements dans certaines régions du pays ?

La Birmanie est un pays confronté à de multiples défis, le développement en étant le plus important. Les affrontements interethniques restent nombreux, même si la situation n’est en rien comparable avec les persécutions dont faisaient l’objet les minorités pendant les sinistres années de la junte. La crise des Rohingyas est un drame humanitaire, résultat des années de junte et d’un désintérêt du reste du pays pour cette question, mais ce fut surtout un bel exemple de manipulation par les militaires, qui avaient tout intérêt à attiser les braises pour faire éclater au grand jour la faiblesse du gouvernement. Rien n’était parfait dans la démocratie birmane, mais la mise en place d’un congrès national des minorités en 2016 marqua le premier mouvement en faveur d’un dialogue, et d’ailleurs la LND a connu de très importants scores électoraux dans la majorité bamar, mais aussi dans les minorités du pays (un tiers de la population environ). La pandémie a frappé le pays, avec plus de 3.000 morts officiellement recensés, mais c’est surtout l’isolement progressif dont ce pays a fait l’objet et la cohabitation de plus en plus difficile avec l’armée, qui se sont affirmés comme les principaux défis.
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