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Achat de Rafale par la Grèce : « C’est un message de dissuasion adressé à la Turquie »

Presse
25 janvier 2021
Interview de Jean-Pierre Maulny - L'express
Avec l’achat de 18 avions de combat Rafale à la France ce lundi, quel est le message envoyé par la Grèce ?

Le message envoyé par la Grèce, c’est qu’elle va renforcer sa défense et notamment ses équipements de protection de son territoire et de son espace aérien et maritime. Et éventuellement ses capacités de frappes. Cela s’adresse en premier lieu à la Turquie parce que la tension actuelle est très forte entre les deux pays. C’est principalement lié à la multiplication des missions d’exploration gazières turques dans les eaux grecques. Après on peut aussi souligner le fait que cette commande intervient dans une période de hausse des budgets de défense dans les pays de l’Union européenne depuis 2015, du fait du terrorisme et de la résurgence de la menace russe après la crise ukrainienne de 2014.

Concrètement, l’objectif pour la Grèce est d’avoir la supériorité dans les airs en mer Égée grâce à ces Rafale ?

Oui c’est certain. C’est un message de dissuasion adressé à la Turquie. De plus, Ankara se trouve actuellement en difficulté dans sa volonté d’acheter des avions F35 américains, en raison de son achat récent de systèmes de défense antimissile russes. L’armée turque reste tout de même un peu supérieure en termes de puissance aérienne, mais elle a été affectée par le coup d’État manqué de 2016. Il s’agit donc pour la Grèce d’une période favorable afin de rééquilibrer les forces contre Ankara.

Cela peut donc freiner les explorations gazières turques ?

Oui, je pense que c’est un élément qui pourrait freiner la Turquie. Cependant, à mon sens, le principal vecteur de changement de la politique turque dans la région reste l’élection de Joe Biden à la tête des États-Unis. La nouvelle administration américaine n’hésitera pas à hausser le ton face aux actions belliqueuses de Recep Tayyip Erdogan, ce qui n’était pas le cas sous Donald Trump.

De plus, petit à petit, une unanimité s’est formée au sein de l’Union européenne contre les menaces répétées du président turc. Or de possibles sanctions économiques européennes contre la Turquie peuvent également se révéler très dissuasives. Donc tous ces éléments s’additionnent et on a vu ces dernières semaines que le chef de l’État turc faisait preuve de davantage de souplesse que par le passé. Cela démontre un certain pragmatisme de sa part, au vu la réaction de plus en plus négative des pays de l’OTAN, dont la Turquie est membre, et de l’Union européenne.

Pour la France, le contrat grec représente la première vente du Rafale en Europe. Peut-on parler d’un succès pour Paris ?

C’est un succès à la fois pour Dassault, qui vend les Rafale, et pour Paris, qui matérialise une forme de partenariat stratégique avec la Grèce. Par ailleurs, c’est aussi un signal politique de la France adressé à la Turquie. Les tensions entre la France et la Turquie ont aussi été importantes ces derniers mois dans plusieurs dossiers : il y a eu le conflit du Haut-Karabagh, la Syrie, la question de Libye, ainsi que toutes les manoeuvres turques de déstabilisation de la France dans l’Ouest-africain. Donc la vente de Rafale à la Grèce n’est pas anodine dans ce contexte. C’est un moyen pour la France de faire passer un message à la Turquie de façon indirecte.
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