ANALYSES

Réforme agricole suspendue en Inde : « La Cour suprême sort de son rôle »

Presse
15 janvier 2021
La décision de la Cour Suprême est-elle surprenante? 

Elle l’est parce que la Cour suprême sort de son rôle qui est de se positionner sur la constitutionnalité des lois. Elle n’est pas là normalement pour assurer les discussions, des uns avec les autres. Aujourd’hui, cette institution semble intervenir en soutien au gouvernement de Narendra Modi. Car elle a suspendu les lois en proposant un comité d’experts dont les membres sont en faveur de cette réforme. Depuis quelques années, la cour suprême tend néanmoins à s’aligner sur la position du gouvernement. On l’a vu à plusieurs reprises comme lors de l’aval qu’elle a donné au régime de Narendra Modi pour l’enregistrement de citoyenneté dans l’État d’Assam, une mesure qui visait à repérer les musulmans réfugiés du Bangladesh.



Pourquoi la loi a-t-elle été suspendue temporairement et non définitivement? 

Il s’agit précisément d’une tactique pour éviter que le jour de l’anniversaire de la République, le 26 janvier, le pays continue, en particulier New Delhi, d’être assiégé par des paysans en colère. Ce que la Cour espère par cette démarche c’est rompre le front syndical très solide jusqu’à présent. Le gouvernement veut diviser le groupe contestataire solidaire, mais hétérogène quant à ses intérêts. Sur le fond, l’idée de la Cour suprême est probablement d’empêcher que le processus ne retourne au Parlement. La façon dont cette réforme a été adoptée est la raison pour laquelle des millions de paysans sont aujourd’hui dans les rues. Ces ordonnances ont été passées pendant le confinement. Le comité parlementaire chargé de l’agriculture n’a pas pu examiner la réforme. La Chambre haute, la Rajya Sabha, n’a pas été autorisée à voter alors que normalement tout ce qui passe par la Chambre basse, le Lok Sabha, passe aussi par la Chambre haute pour la ratification.



Comment la suspension a-t-elle été accueillie par les manifestants ? 

La réaction quasi immédiate du front syndical des paysans a consisté à rejeter ce panel de la Cour suprême parce qu’il le juge pro gouvernemental. Le responsable de ce panel est Ashok Gulati, un économiste partisan d’une industrialisation de l’agriculture indienne sur un mode capitaliste. Reste que ce front syndical ne représente pas le groupe des petits agriculteurs de subsistance, mais plutôt les paysans moyens, déjà organisés. L’enjeu maintenant est de voir s’il y a une forme d’acceptation de cette mesure par l’ensemble des paysans dans les différentes régions.



Cette décision peut-elle éteindre la contestation? 

Tout va dépendre de la tactique de la Cour suprême. On peut très bien imaginer que le groupe d’experts sous la pression de la rue, revienne vers le gouvernement pour lui dire que les lois posent vraiment problème et qu’il faut les modifier. Les contestations pourraient alors se réduire ou cesser. Et on se retrouverait dans la même situation qu’avec les lois sur la terre et la réforme du travail que le gouvernement Modi avait dû abandonner au début de son mandat. Mais le groupe d’experts nommé par la Cour suprême pourrait aussi être une sortie de secours pour le Premier ministre, si ses conclusions vont dans son sens.


Propos recueillis par Kadiatou Sakho pour Libération

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