20.12.2024
Boris Johnson entre Covid-19 et Brexit
Tribune
18 janvier 2021
Les retombées du Brexit viendront-elles se noyer dans les vagues de l’épidémie de Covid-19 ? Ou les deux lames finiront-elles par se conjuguer pour doucher les espoirs du Parti conservateur aux prochaines échéances électorales ?
Une première chose est sûre, quoique déconcertante : ce qui subsistait des contestations de l’accord sur le Brexit a été étouffé, avec un certain flair politique, sous le double éteignoir des fêtes de fin d’année et de la lassitude des acteurs politiques des deux côtés de la Manche. Qui a entendu les récriminations des pêcheurs britanniques un 25 décembre, entre la dinde et le sherry ? Quel parti politique européen, nord-irlandais ou écossais aurait l’audace de réclamer que l’on détricote ce que les négociateurs, en patients disciples de Pénélope, ont tricoté depuis trois ans ? Pis, quelle faction parlementaire aurait tenté l’herculéen travail d’examiner 1500 pages de traité entre la Noël et le Nouvel An ?
La dinde et le sherry
Les dés sont donc jetés, la presse est passée à autre chose et le Brexit a désormais eu lieu : il est acté désormais tant dans les textes du point de vue juridique, que dans les têtes du point de vue politique. C’est bien ici le point essentiel. Boris Johnson a fait l’extravagant pari de faire du Brexit une question strictement politique, dans un pays dont le commerce jadis et la finance désormais ont été longtemps le premier aiguillon. L’interrogation liminaire pose donc une question que les conservateurs eux-mêmes – et ce n’est pas là le moindre de paradoxes – ont fini par laisser choir : celle des répercussions économiques.
Il s’avérait que le Royaume-Uni ployait sous le double joug d’une bienveillante tyrannie et d’un malveillant virus, venus de Bruxelles et de Wuhan respectivement. Le vaccin et le Brexit lui fournissent deux échappatoires tout indiqués. L’apparition de nouvelles souches épidémiques et les lourdeurs administratives qui pèseront désormais sur les entreprises qui souhaiteront exporter vers le continent n’entraveront en rien la rhétorique de Downing Street. Le Royaume ainsi libéré humera désormais l’air du grand large, et larguera nombre des amarres qui l’arriment à son plus important partenaire économique.
Ou pas. Car les chiffres, eux, sont plus rétifs aux éléments de langage. Le Royaume-Uni importe les deux tiers de ses fruits frais, la moitié de ses légumes et le tiers de sa viande de porc. À l’inverse, le pays est exportateur de lait ou de viande de mouton. Pris globalement, un tiers de la nourriture consommée au Royaume-Uni vient du continent. Seulement, ces ratios sont pour le moins dépendants de la saisonnalité. En hiver, l’accès aux légumes comme le brocoli, la laitue, les citrons ou les oranges peut se tarir en l’espace d’une ou deux semaines en l’absence d’échanges avec le continent. La moindre fluidité des échanges aura un impact de plus long terme, qui viendra se superposer à la dévastation provoquée par le Covid-19 à court terme.
Le mouton et la laitue
L’activité économique au Royaume-Uni s’est dégradée de 10% au troisième trimestre 2020 au regard de la période correspondante de l’année 2019. Ces chiffres sont supérieurs aux baisses constatées en Europe et aux États-Unis. Dans le même temps, la mortalité due au Covid-19 au Royaume-Uni dépasse la moyenne européenne, quoiqu’elle soit inférieure aux chiffres américains.
Si la gestion de la crise a été critiquée par l’opinion avec une virulence commune à l’ensemble des pays touchés par l’épidémie, les critiques ont paradoxalement été plus acerbes en France qu’outre-Manche. En dépit de ses rodomontades nationalistes sur les applications de traçage, les rétropédalages moins contrôlés, et la tradition anglo-saxonne qui met l’accent sur la liberté de commercer, le flegme proverbial qui sert aux Britanniques de psychologie par provision a permis à Boris Johnson place d’échapper aux pires gémonies politiques. La signature de l’accord sur le Brexit et la campagne de vaccinations engagée plus rapidement qu’ailleurs peuvent-il lui offrir un blanc-seing suffisamment ferme pour porter les conservateurs jusqu’aux prochaines législatives ?
C’était l’idée de Boris Johnson. Quoiqu’il soit fort disposé à voir s’effacer les dégâts économiques du Brexit sous ceux du Covid-19, il est plus réticent à y voir s’y noyer les bénéfices politiques qu’il serait susceptible d’en tirer. La rhétorique du Premier ministre veut voir en effet dans l’accord comme une manière de saut quantique dans la capacité du Royaume-Uni à faire ses propres choix sur la scène internationale.
L’unanimité d’aujourd’hui ne permettra cependant plus demain aux conservateurs britanniques de rejeter la responsabilité de l’évolution des relations avec le continent sur un tiers réel ou fantasmé. Ce filet de sécurité politique s’est effiloché avec le temps. Lors des prochaines échéances législatives, les réussites et les échecs seront donc l’apanage de Boris Johnson et de lui seul. C’est ainsi, après tout, que le biographe de Churchill l’avait rêvé quand il s’est résolu à devenir un Brexiter, un soir de février 2016 alors qu’il tournoyait sur la question avec la verve d’« un chariot fou dans un supermarché ». Il ne lui reste plus désormais qu’à éviter de devenir le capitaine d’un bateau ivre, tournoyant dans la tempête entre la sourde Charybde du Brexit et l’imprévisible Scylla du Covid-19.
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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.