13.12.2024
Soldats français morts au Mali : « La figure de l’ennemi est de plus en plus floue »
Presse
29 décembre 2020
On peut déjà s’incliner devant la mémoire de ces militaires âgés de 21 à 28 ans, cueillis dans la fleur de l’âge. Ce drame nous rappelle la dangerosité du terrain et de cette opération qui a eu lieu à proximité de la zone dite des « trois frontières », où l’ennemi désigné est depuis le sommet de Pau l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).
Après la libération de 200 djihadistes, en octobre 2020, il y avait eu un renforcement du front vers le nord et plus particulièrement les groupuscules affiliés à al-Qaeda. L’explosion d’une mine antipersonnel dite artisanale n’est pas vraiment un fait nouveau, les engins sont souvent plus sophistiqués qu’on ne le pense. Les militaires français, mais les autres également, travaillent dans un univers extrêmement complexe, immense et désertique. La France se retrouve donc à nouveau endeuillée. Est-ce que cela peu créer une émotion ou une vague d’indignation dans l’opinion publique ? On peut en douter compte tenu de la période du Covid-19 et la monopolisation de l’information par une troisième vague, tandis que le Mali semble loin pour de nombreux Français.
L’armée française arrivera-t-elle à reprendre la main sur la situation au Mali ?
La situation semble celle d’une guerre sans fin. Ce n’est pas à la France de reprendre la main sur la situation au Mali, mais plutôt aux Maliens de le faire. Depuis 2013, la situation s’est complexifiée et la figure de l’ennemi de plus en plus floue. Il y a de multiples typologies de conflits : des conflits intercommunautaires, djihadistes, des milices d’autodéfense. Il y a également des mouvements sociaux qui se sont soulevés contre Ibrahim Boubacar Keïta à partir de juin 2020. Les racines de la crise restent à traiter : l’État, la mal-gouvernance et la corruption.
C’est tout cela qu’il faut remettre en place. Ce n’est pas du ressort des Français. Il peut y avoir des accompagnements, s’il y a une demande, sinon cela relèverait de l’ingérence. L’objectif de départ de l’opération Barkhane était la reterritorialisation du Mali, soit récupérer les poches d’insécurité qui échappait à son gouvernement. Depuis l’opération Serval en 2013, qui avait toutefois permis de préserver Bamako de l’avancée des djihadistes, la menace n’a fait que s’étendre. Il y a une économie qui s’est développée dans le sillage du terrorisme. Dans bien des domaines, l’État n’est plus en capacité d’assurer ses fonctions régaliennes.
Ce drame pourrait-il inciter la France à revoir sa position sur un éventuel retrait partiel des militaires de l’opération Barkhane ?
La question « du retrait ou pas retrait » est un petit peu simpliste, d’autant plus que nous avons 5100 hommes déployés sur le terrain. La France ne va pas partir du jour au lendemain. Cela doit être négocié avec les chefs d’États. Des questions se posent notamment depuis la libération des quatre otages contre celle de quelque 200 djihadistes, qui a entraîné un changement de front.
Cela a également provoqué une espèce d’embrouillamini : la France assurait qu’il ne fallait pas négocier avec les terroristes, le général Lecointre [le chef d’État-Major des armées] a esquissé la possibilité d’un dialogue et la France dit dorénavant qu’il est peut-être possible de discuter avec certains djihadistes, tactique feutrée pour être en convergence avec les Maliens qui depuis 2017 demandent un dialogue inter-malien.
Mais quelles modalités pratiques ? Avec quels interlocuteurs ? Sans doute en saurons nous plus lors du sommet prévu mi-février. Il est possible qu’à l’issue de ces discussions, comme de plus en plus en plus d’analystes le demandent, la France intervienne en deuxième ligne (renseignement, formation, logistique). Ce serait un redéploiement du dispositif sans quitter le théâtre d’opérations au risque de laisser un goût d’amertume, tant du côté africain que français.