18.12.2024
Uranium iranien : « Le but est de pousser Biden à revenir dans l’accord sur le nucléaire »
Presse
6 janvier 2021
Je pense qu’il faut rappeler l’historique des faits pour comprendre ce qui se passe actuellement. Peu de temps après l’assassinat en décembre du haut scientifique iranien Mohsen Fakrizadeh, le Parlement à majorité conservatrice a voté une loi demandant au gouvernement de reprendre l’enrichissement de l’uranium à 20% et de mettre fin aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique en février 2021, si les États-Unis ne supprimaient pas les sanctions financières et l’embargo pétrolier imposés à l’Iran.
Le gouvernement modéré de Hassan Rohani s’est opposé à cette loi, en expliquant qu’elle allait gêner les négociations qui s’annoncent avec l’équipe de Joe Biden, mais il a été contraint de l’appliquer après sa promulgation par le président du Parlement Mohammad-Bagher Ghalibaf, vraisemblablement sous l’impulsion du Guide suprême Ali Khamenei.
Du côté du Parlement, il y a une logique électorale derrière cette manoeuvre. Une élection présidentielle doit se dérouler en Iran en juin 2021, et le président du Parlement Mohammad-Bagher Ghalibaf, veut être candidat. Cette décision est un moyen pour lui d’imposer sa ligne dure et de faire patiner les négociations avec les États-Unis jusqu’à la présidentielle, lors de laquelle il espère être élu.
Ce nouvel enrichissement de l’uranium par l’Iran est-il justement aussi un moyen d’envoyer un message à la prochaine administration Biden ?
Du côté du Guide suprême Ali Khamenei, qui en bout de chaîne a imposé cette décision, je pense que c’est effectivement aussi un élément de négociation avec le gouvernement américain, dont le but est de pousser les États-Unis à revenir dans l’accord sur le nucléaire de 2015. En effet, Jake Sullivan, qui a été nommé conseiller à la sécurité nationale des États-Unis par Joe Biden, a indiqué qu’il voulait revenir dans l’accord, mais en même temps, ouvrir de nouvelles négociations sur le programme balistique iranien, en y incluant les partenaires régionaux de la République islamique.
Or l’Iran est contre l’élargissement des négociations à de nouveaux sujets. Donc le fait d’enrichir de l’uranium à 20% est un moyen de recentrer les discussions sur l’accord de 2015. Le message adressé à l’administration américaine c’est : revenez dans l’accord, annulez vos sanctions, et l’Iran mettra un terme au détricotage de ses engagements inscrits dans l’accord. Avant l’accord de 2015, l’Iran produisait de l’uranium enrichi à 20%, nous sommes donc revenus à ce seuil. L’Iran signifie par là qu’il y a désormais seulement deux possibilités : soit revenir dans l’accord, soit reprendre pleinement son programme comme par le passé.
Cette annonce intervient un an après l’assassinat de Qassem Soleimani et un mois après celui de Mohsen Fakrizadeh. Est-ce un moyen pour l’Iran de sauver la face ?
C’est toujours bon politiquement pour la frange la plus conservatrice, dont le fonds de commerce est l’antiaméricanisme et l’antisionisme, d’avoir l’air de menacer les États-Unis. Mais d’un autre côté, le gouvernement iranien est très calculateur et pèse précautionneusement ses actions. À la suite de l’assassinat de Qassem Soleimani, qui était un coup très dur pour eux, ils ont réagi en prenant soin de ne pas risquer un conflit ouvert avec les États-Unis, qu’ils auraient été sûrs de perdre. Donc l’Iran avait bombardé des bases américaines en Irak, mais en les prévenant avant pour limiter les dégâts.
Aujourd’hui le principal objectif des autorités, c’est d’attendre de voir si les États-Unis reviennent dans l’accord sur le nucléaire. Donc pour cela, il ne faut pas aller trop loin, même si certains partisans d’une ligne dure sont furieux et veulent faire payer les Américains. En revanche, si jamais les autorités iraniennes se rendent compte que les États-Unis ne veulent pas revenir dans l’accord, alors on risque d’assister à de nouvelles actions.
Est-ce que cette annonce traduit un retour en force des conservateurs sur la scène politique iranienne ?
La politique menée par Donald Trump visant à sortir de l’accord de 2015 et à réinstaurer des sanctions économiques fortes contre l’Iran, a complètement délégitimé les modérés qui avaient négocié cet accord. La population à qui on avait promis que les sanctions allaient être levées, et que la situation économique allait s’améliorer, s’est retrouvée confrontée à une crise économique inédite par son ampleur depuis la révolution.