20.11.2024
Sobriété : à quand un Yuka pour comparer les matériaux dans nos produits ?
Presse
17 décembre 2020
En 2007, l’Union européenne avait fixé un objectif d’efficacité énergétique de 20 % en 2020, objectif revu à la hausse en 2018 dans la politique « Une énergie propre pour tous les Européens » avec une cible de 32,5 % en 2030. Si de nombreuses politiques européennes ou nationales se focalisent sur la question énergétique, la question des matériaux de la transition et plus globalement de nos consommations de matériaux dans la vie quotidienne est souvent reléguée au second plan.
Pourtant, le seul secteur de l’extraction et de la production des métaux contribuerait à environ 16 % de la consommation énergétique mondiale. En outre, selon un rapport publié en 2019 par l’OCDE, la consommation mondiale de matériaux (métaux, énergies fossiles, biomasse, matériaux non métalliques), évaluée à 33 kg par jour et par personne, devrait être portée à environ 45 kg à l’horizon 2060. Et l’ensemble des zones économiques mondiales devrait être touché.
Les travaux réalisés sur les matériaux de la transition énergétique à IFP énergies nouvelles ont notamment permis de mettre en exergue l’importance de certains métaux pour les technologies bas-carbone et ont mis en évidence des criticités différenciées selon les matériaux.
Ainsi, en l’absence de technologies de rupture, le cuivre et le cobalt pourraient être fortement critiques à l’horizon 2050 dans des scénarios climatiques ambitieux, au contraire de métaux plus traités dans l’actualité quotidienne comme le lithium et les terres rares.
Au-delà de la question de la criticité se pose la question de la place des matériaux et des matières premières en général dans l’économie et dans la perception des citoyens, lors de leurs actes d’achats quotidiens.
Les matières premières, une préoccupation cyclique
Objet central de l’économie à travers l’allocation des ressources, les matières premières ont été le centre de préoccupations au XVIIIe et XIXe siècle des premiers classiques (Malthus, Ricardo) et de certains marginalistes, notamment Jevons avec son ouvrage The Coal Question qui mit en évidence la notion d’effet rebond. Elles sont réapparues à la fin des années 1960 avec la question de l’épuisement des ressources naturelles dans les préoccupations du Club de Rome.
Dans le contexte des Trente Glorieuses (1945-1975) qui avait vu une hausse rapide du niveau de vie dans les pays développés et une utilisation massive des ressources dans le processus de reconstruction et d’urbanisation, les travaux du Club de Rome étaient apparus comme divergentes du paradigme économique d’abondance des matières premières, négociables à faible coût au niveau mondial.
Commandé en 1970 et publié en 1972, le rapport Meadows, Les limites à la croissance, avait exposé, pour la première fois, un risque de pénurie de matières premières sur la base de scénarios à long terme. Le rapport trouvera une résonance particulière avec les évènements observés sur les marchés de matières premières agricoles et énergétiques durant la décennie 1970, et suscitera des interrogations plus larges en matière de politiques publiques avec la mise en avant du concept global de sécurité d’approvisionnement.
Le XXIᵉ siècle, libéré de la question ?
Toutefois, les marchés de matières premières vont avoir tendance à disparaître des préoccupations majeures des industriels et des économistes durant la décennie 1980, avec la baisse des prix généralisée. Un nouveau changement de paradigme s’installe durant les années 1990, symbolisé par la montée en puissance du secteur des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC). La dématérialisation progressive des économies et leur tertiarisation devaient, croyait-on à l’époque, marquer la fin de la dépendance aux matières premières.
Enfin libérée, l’économie mondiale allait, via Internet et la « nouvelle économie », s’épanouir en s’émancipant du contenu matières de ses approvisionnements, et ce d’autant plus que les prix des matières premières avaient touché, en cette fin de siècle, les niveaux les plus bas jamais enregistrés. La crise asiatique avait ainsi provoqué l’effondrement des prix du pétrole à moins de 10 dollars le baril, alors que dans le même temps, certaines sociétés des NTIC voyaient leur valorisation multipliée par 100 en quelques semaines sur la seule perspective de gains futurs. Cet « oubli » de la question des matières premières aura notamment pour conséquence un désintérêt des investisseurs pour le secteur minier et un mouvement profond de rationalisation des principales activités industrielles, particulièrement dans le secteur des métaux non-ferreux.
Les matériaux critiques, enjeu de la transition
L’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001 et son modèle d’industrialisation durant la décennie 2000 sont l’occasion d’un retour de la préoccupation à l’égard des matières premières dans l’économie planétaire.
La dynamique de transition énergétique actuelle place également les matières premières au centre du jeu économique et géopolitique mondial. Avec le déploiement des technologies bas-carbone (éolien, solaire et stockage) et en raison de leur contenu en matériaux plus important que les technologies traditionnelles (centrales et véhicules thermiques), la transition énergétique contribuerait à une hausse marquée de la demande en matériaux et pourrait bouleverser la géopolitique des marchés de matières premières. Dans ce contexte, les politiques publiques de mobilité soutenable et d’investissements dans les filières du recyclage apparaissent essentielles.
Les politiques de recyclage constituent par exemple un levier fondamental pour la réduction de la criticité sur les métaux. Elles permettent un double dividende stratégique en diminuant les importations de matériaux (et donc le déficit de la balance commerciale) et les impacts environnementaux. Les matériaux issus du recyclage enregistrent en effet une baisse relative de la consommation en énergie, en eau et une décrue des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour la production de métaux.
Pour un Yuka des matériaux
L’action publique doit ainsi favoriser l’ensemble des leviers permettant de diminuer les pressions sur les ressources en informant les consommateurs sur l’importance de leurs décisions. Un article publié dans Le Monde en 2016 pointait du doigt que « sur les 25 millions de téléphones portables mis sur le marché en France chaque année, seuls 15 % étaient collectés pour être réparés, réemployés ou recyclés ».
À l’heure actuelle, l’encouragement à la sobriété matériaux devrait être central dans l’accompagnement du citoyen dans le contexte de transition bas carbone. La notion bas carbone n’est pourtant pas associée dans la perception des acteurs économiques et des décideurs à la minimisation de la consommation de matériaux. Or cet enjeu est essentiel pour aller vers une société globalement sobre. D’un comparateur de contenu à celui d’un affichage obligatoire pour les produits de consommation courante, diverses initiatives peuvent être mises en place. Ces actions nécessiteraient l’établissement d’une méthodologie claire à l’image de celle développée par Yuka dans l’alimentation.
Ces initiatives auraient en outre un effet bénéfique sur la compréhension des politiques européennes sur le sujet. En septembre 2020, la Commission européenne a publié sa liste des matériaux critiques pour l’Union européenne. Mise à jour tous les 3 ans depuis 2011, elle donne les matériaux considérés comme critiques pour l’Union et les politiques à instaurer. Mais qui en dehors des industriels et des milieux économiques sait que 30 matériaux font désormais l’objet d’études au niveau européen, contre 14 en 2011 ? Ce type d’initiatives rapprocherait l’Union européenne et le citoyen en informant ce dernier de façon claire.
Plus généralement, les politiques de transition écologique ne pourront faire abstraction d’une véritable réflexion sur la sobriété, non seulement énergétique mais également en matériaux. Le bannissement du jetable, une législation sur le délit d’obsolescence programmée sont autant de politiques indispensables pour s’acheminer vers une planète plus sobre en ressources. La dynamique collective et citoyenne devrait pouvoir s’appréhender avec une information claire sur les contenus en matériaux de nos achats, nous transformant ainsi en consom’acteur responsable.
En parallèle de narratifs prospectifs sur un monde sobre en ressources à l’horizon 2050, la sobriété de nos sociétés exige une politique d’apprentissage des différents acteurs, entreprises et consommateurs.
Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles, Auteurs fondateurs The Conversation France; Charlène Barnet, Economiste, IFP Énergies nouvelles et Gondia Sokhna Seck, Spécialiste modélisation et analyses des systèmes énergétiques, IFP Énergies nouvelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.