ANALYSES

Le business des vaccins contre le Covid-19 au centre des débats à l’OMC

Tribune
21 décembre 2020


Alors que la vaccination contre le Covid-19 démarre en Europe et aux États-Unis, nombre de chefs d’État ont fait des déclarations pour souhaiter que l’ensemble de la population mondiale puisse y avoir accès. Les plus optimistes penseront que ces déclarations résultent d’une prise de conscience de l’importance qu’au XXIe siècle, la santé soit accessible à tous. Cyniquement, nous pourrions en déduire que ces déclarations de bonnes intentions viennent en réalité habilement habiller une impérieuse nécessité : qu’une majorité de personnes soient vaccinées pour que la pandémie soit vaincue. Et pourtant, une vaccination universelle ne semble pas encore totalement acquise à l’heure qu’il est. Les pays riches ont quasiment acheté 80% de la production mondiale de vaccins jusqu’en 2022. Certains ayant acquis des doses pour vacciner plusieurs fois l’ensemble de leur population, captant ainsi une part démesurée des vaccins qui seront disponibles.

Les débats qui se tiennent actuellement au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) autour de la lutte contre le Covid-19 ne laissent par ailleurs aucune illusion sur les belles intentions de la part des pays les plus développés. Dans un éditorial venant introduire les 11e brèves de l’OMC, la lettre mensuelle publiée par la délégation permanente de la France auprès de l’Organisation explique en effet comment les pays abritant de grands laboratoires pharmaceutiques militent pour le respect des accords sur les droits de propriété intellectuelle tels que négociés dans le cadre de l’Uruguay Round (TRIPS). Les pays émergents et en développement, à l’inverse, bien conscients que comme à l’accoutumée, ils seront les derniers servis, et qui s’inquiètent aussi du coût que va représenter pour eux et leur population une campagne vaccinale, demandent une suspension temporaire de ces droits afin de pouvoir avoir accès aux traitements et/ou vaccins.

« On pensait pourtant ce problème résolu depuis la conférence ministérielle de Doha en 2001 ! Sa décision avait débouché sur le seul amendement d’un accord de l’OMC depuis le cycle d’Uruguay : il permet aux PMA (pays les moins avancés) et, aux pays ayant des capacités de production insuffisantes, de recourir aux ‘licences obligatoires spéciales’ pour importer des copies génériques de tout médicament. », explique Jean-Marie Paugam, dans l’éditorial de cette 11e brève. L’Inde et l’Afrique du Sud ont ainsi déposé début décembre une demande de suspension temporaire de l’accord TRIPS, sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce). Ils se heurtent à la vision plus libérale dans l’esprit, mais en réalité conservatrice et protectionniste des grands pays, Union européenne en tête, vision qui a également une dimension géopolitique autour d’une certaine idée de la diplomatie du vaccin, très certainement. Ces arguments ont été développés lors d’un récent webinaire organisé à l’IRIS dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information et géopolitique au temps du Covid-19.

Une fois n’est pas coutume, ces visions différentes opposent aussi les entreprises. Certaines d’entre elles font pression sur leurs États pour protéger et breveter au plus vite leurs vaccins. D’autres, au contraire, s’associent aux initiatives visant à assurer un accès aussi large que possible au vaccin.

Pour les premières, la démarche est d’autant plus étonnante – pour ne pas dire choquante – que leur recherche et développement a été massivement financé sur fonds publics et qu’au vu de l’urgence sanitaire, leur retour sur investissement et leurs profits sont déjà assurés par leurs seuls débouchés dans les pays riches. Le manque de transparence est total et nous ne saurons probablement jamais quels furent ces profits.

Pour les secondes, en revanche, et c’est assez novateur pour être souligné, avaient déjà lancé au début des années 2000 un Fonds mondial pour la lutte contre les grandes pandémies de l’époque (Sida, tuberculose et malaria) ainsi qu’une alliance pour les vaccins à l’initiative de la Fondation Gates, de l’Unicef, de la banque mondiale et de l’OMS. GAVI ou Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation pousse les fournisseurs de vaccins à baisser leurs prix pour les pays les plus pauvres. Elle participe aujourd’hui à la vaccination de la moitié des enfants dans le monde. Elles sont aujourd’hui engagées dans un accélérateur d’accès aux outils de lutte contre le Covid-19 (ACT-Accelerator) incluant un pilier « vaccins » au travers d’une facilité d’achat de vaccins, la Covax. Il est à noter que la candidate africaine à la direction de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala préside actuellement le conseil d’administration de GAVI en charge également de la Covax, mais sa nomination qui devait intervenir début novembre est à ce jour bloquée par les États-Unis et la Corée du Sud.

Une fois de plus, cette situation nous démontre combien les débats autour de la mondialisation restent clivés et assez prévisibles entre égoïsmes nationaux et défense de l’intérêt collectif, combien les États, ne sont plus, loin s’en faut, les seuls acteurs d’une gouvernance mondiale en pleine refonte. Les acteurs non étatiques, entreprises et ONG comme représentantes des sociétés civiles sont, dans les situations les plus opérationnelles, des acteurs bien plus actifs et efficaces pour trouver des solutions collectives et pragmatiques.
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