L'édito de Pascal Boniface

Maroc-Israël : le deal Palestine contre Sahara occidental

Édito
11 décembre 2020
Le point de vue de Pascal Boniface


L’annonce de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël que Donald Trump vient d’annoncer est un succès diplomatique pour lui, mais aussi pour Benyamin Netanyahou. Cette normalisation est beaucoup plus importante pour Israël que la reconnaissance par les Émirats arabes unis ou Bahreïn parce que le Maroc est un pays plus important politiquement au sein du monde arabe, plus ancien. Si le Maroc n’existait pas comme État au moment de la création d’Israël, il existait déjà lors de la guerre des Six Jours qui permit à Israël de conquérir Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Par ailleurs, le roi du Maroc préside le comité Al-Qods-Jérusalem et est normalement plus impliqué sur la résolution du conflit israélo-palestinien et le soutien aux Palestiniens. Il y a également une opinion publique au Maroc, une société civile plus développée qu’aux Émirats arabes unis, qui manifeste régulièrement son soutien à la Palestine.

À l’inverse, la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara va en partie faire passer la pilule auprès de l’opinion publique marocaine, la cause du Sahara étant une cause nationale qui fédère l’ensemble des Marocains et qui fait véritablement l’objet d’un consensus au sein du pays. La démarche américaine est claire : il y a un échange de reconnaissance. Washington reconnait la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, contre la normalisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv. Et les Marocains peuvent se dire « Pourquoi se priver d’empocher ce bénéfice diplomatique pour rester solidaires des Palestiniens qui de toutes façons sont abandonnés par tout le monde ? »

Concernant le Sahara occidental, la position américaine n’a pas tellement évolué : les États-Unis ont toujours été plus proches des positions marocaines que des positions algériennes ou sahraouies, mais il s’agit ici d’un coup de pouce supplémentaire, mais dont l’importance reste nettement moindre que la reconnaissance par le Maroc d’Israël. On peut imaginer que l’Algérie va dénoncer cette trahison et qu’elle va poursuivre son soutien au Front Polisario. L’Algérie pourra, une fois de plus, se présenter comme pays phare portant la voie des pays du Sud, se distinguant de son rival marocain qui, à l’inverse, plie face aux Occidentaux.

Donald Trump va pouvoir affirmer qu’il a enchaîné les succès diplomatiques et que grâce à son action Israël est plus que jamais reconnu dans le monde arabe et que la sécurité d’Israël sort renforcée de son mandat. Il est vrai que les États-Unis ont toujours été plus proches d’Israël que des Palestiniens et n’ont jamais adopté une position d’équilibre. Mais Donald Trump a, d’une certaine manière, réellement pris le taureau par les cornes et a fait pression et milité pour qu’Israël obtienne la reconnaissance de certains pays arabes. Les Émirats arabes unis n’avaient pas attendu Donald Trump pour témoigner leur volonté de se rapprocher d’Israël, partageant avec l’État hébreu un ennemi commun : l’Iran. Pour les Émiratis, la crainte de la menace iranienne pesait déjà depuis longtemps beaucoup plus lourd que le sort des Palestiniens. Il y avait donc déjà de facto un axe entre les Émirats arabes unis et Israël par rapport à l’Iran. S’agissant de Bahreïn, pays en difficultés internes et très dépendants de l’Arabie saoudite d’un point de vue politique, le rapprochement avec l’État hébreu était beaucoup moins important. Enfin, dans le cas du Soudan qui a récemment également reconnu Israël, il s’agissait également d’un deal :la levée des sanctions contre le pays en échange de la reconnaissance. Le Soudan étant à l’agonie sur le plan économique, les dirigeants du pays y ont vu un moyen de desserrer l’étau économique.

On constate donc que la technique de Donald Trump qui consiste à faire pression maximale pour obtenir ce qu’il veut, paye. C’est d’ailleurs, de manière assez ironique, comme cela qu’il était parvenu à obtenir l’organisation de la Coupe du monde de football 2026 – aux côtés du Mexique et du Canada – face au Maroc. Il avait alors menacé les pays qui ne voteraient pas pour les États-Unis de sanctions et le Maroc s’était vu privé de la victoire dans l’obtention de cette Coupe du monde.

Quoi qu’il en soit, cette normalisation des relations entre Israël et le Maroc devrait quand même provoquer des débats internes assez importants au Maroc parce que, outre la satisfaction de voir la position marocaine sur le Sahara confortée, le fait de lâcher la cause palestinienne sans qu’il y ait aucun succès vers la paix ou la reconnaissance des droits des Palestiniens risque de frustrer une partie de l’opinion marocaine

Pour Mahmoud Abbas, le dirigeant de l’autorité palestinienne, il s’agit là d’une défaite très lourde. Il a depuis qu’il est au pouvoir, joué la carte diplomatique sans jamais rien obtenir. Au contraire, nous avons pu assister à une dégradation continue des conditions de vie des Palestiniens, à la quasi-disparition des perspectives de paix, à un grignotage constant des territoires palestiniens. À un tel point qu’on peut désormais se demander si la poursuite de l’existence de l’Autorité palestinienne a toujours un sens aujourd’hui. Ne vaudrait-il pas mieux dissoudre l’Autorité palestinienne et demander à Israël d’assumer jusqu’au bout la gestion des territoires palestiniens. Au-delà du triomphe diplomatique israélien dans les pays arabes, en Afrique, mais également en Européen où le silence est total, le problème reste bien de régler la question palestinienne qui n’évolue pas : l’occupation d’un peuple par un autre, qui était déjà inacceptable au 20e siècle, ne peut pas l’être au 21e siècle. Le fait de laisser cette situation d’occupation en suspens constitue inévitablement un foyer qui reste incandescent et qui ne peut que produire à terme de la violence.

Le paradoxe est que Netanyahou accumule les triomphes diplomatiques au moment où sa position politique est de plus en plus inconfortable en interne, étant totalement cerné par les affaires judiciaires.

Joe Biden va arriver face à ce paysage diplomatique. Il ne va évidemment pas revenir sur cette situation, il a en effet intérêt à ce qu’il y ait de bonnes relations entre les Israéliens et les pays arabes et il ne va pas plus s’attaquer à la question palestinienne du fait des blocages importants aux États-Unis. Malgré un Trump triomphal sur ce dossier, la question palestinienne restera donc non résolue, cette bombe à retardement pourrait malheureusement éclater un jour ou l’autre et servir d’arguments de propagande pour tous les extrémistes anti-Occidentaux.

 
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