18.11.2024
Quad contre RCEP : quel bilan pour le match Trump – Xi Jinping ?
Presse
20 novembre 2020
Après la fin de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis se sont imposés comme la principale puissance en Asie-Pacifique, et cette domination a duré plusieurs décennies, articulée autour de partenariats stratégiques, d’un interventionnisme à grande échelle, et de liens politiques étroits avec plusieurs acteurs de la région. Mais après la fin de la Guerre froide, cet avantage a progressivement fondu, sous l’effet des puissances émergentes, la Chine en tête. En parallèle, l’Asie orientale s’est progressivement imposée comme une région cruciale en raison du dynamisme de sa croissance économique et des nombreuses situations conflictuelles pouvant l’affecter. Plusieurs administrations successives, de Clinton à Trump, se sont efforcées de trouver un moyen de maintenir la puissance de Washington dans la zone, voire même à la renforcer, au détriment d’ailleurs de la politique américaine dans d’autres régions (comme l’Europe). La stratégie de l’Indopacifique, espace gigantesque couvrant come son nom l’indique les océans Indien et Pacifique, est l’une des stratégies mises en avant par Washington pour justifier un repositionnement stratégique, la recherche de partenaires, et l’identification d’une menace commune: la Chine. Parmi les partenaires identifiés, Washington compte sur le QUAD pour définir une stratégie commune d’un endiguement de la Chine qui ne dit pas son nom. Mais il ne s’agit pas d’une démarche nouvelle, des tentatives similaires ayant notamment été menées par l’administration Bush dans les années 2000. La stratégie du pivot de Barack Obama, qui proposa notamment un déploiement de Marines à Darwin en Australie et un dialogue stratégique avec les Philippines et le Vietnam, répondait à la même logique. Les choses n’ont donc pas fondamentalement changé d’une administration à l’autre – et ne devraient pas changer encore dans les quatre prochaines années – si ce n’est l’influence de Washington dans la zone, qui est en baisse. On compte ainsi dans le QUAD deux Etat (Japon et Australie) qui viennent de signer avec la Chine le RCEP, ce qui implique qu’ils ne font pas de Pékin un adversaire systémique; l’Inde ne cesse d’accroitre ses échanges avec la Chine et a rejoint l’Organisation de coopération de Shanghai; et des pays comme l’Australie et le Japon restent certes très proches stratégiquement des Etats-Unis, mais n’hésitent plus à se tourner vers d’autres acteurs, comme la France. Le QUAD n’est peut-être pas l’opération de la dernière chance pour Washington en Asie-Pacifique, mais les cartouches s’épuisent.
De son côté, la Chine vient de signer un accord de libre-échange géant avec quatorze pays d’Asie, le RCEP, couvrant presque 30 % de la population mondiale. Que permettra cette nouvelle alliance sur le plan stratégique ?
En théorie rien du tout, puisqu’il s’agit d’un accord de libre-échange à l’initiative de l’Asean dont l’objectif est d’éliminer d’ici vingt ans 90% des droits de douane entre ses membres. Même si l’Inde a choisi de se retirer des négociations il y a un an, il s’agit d’un accord très ambitieux, sans doute historique même, puisqu’il est tout simplement le plus important au monde, sans compter qu’il regroupe des économies très dynamiques. Mais il ne contient pas d’objectif stratégique. On peut cependant légitimement s’interroger sur sa portée, notamment le fait qu’il soit potentiellement pacificateur (quel intérêt des partenaires économiques auraient-ils à devenir des rivaux stratégiques?), mais l’Asie n’est plus à un paradoxe près, et on constate par exemple que Chine et Taiwan restent des ennemis en dépit d’échanges importants et d’un accord-cadre de 2009. Toujours est-il que le RCEP participe à l’apaisement des tensions en Asie, et c’est une bonne chose.
Certains voient dans cet accord une victoire pour Pékin, et un renforcement de l’emprise de la Chine sur ses voisins, avec l’aval de ces derniers. Un hégémon donc. C’est sans doute un peu excessif, d’abord parce que cet accord n’était pas à l’initiative de la Chine, ensuite parce qu’il n’établit pas de hiérarchie entre ses membres, enfin parce qu’il est à la fois une extension de l’Asean et la consolidation des dialogues Asean+3 et Asean +6 (moins l’Inde) qui existent depuis des années. Cependant, le fait que l’Inde se soit retirée indique les craintes liées à un poids trop fort de Pékin, et c’est d’ailleurs l’un des principaux écueils du RCEP. Des questions restent également en suspens en ce qui concerne la réception de cet accord et, par extension, d’une forme d’hégémon chinois, dans les opinions publiques. On observe souvent un décalage entre les choix des élites politiques et économiques, qui voient notamment d’un bon œil les investissements chinois, et les populations qui craignent une acculturation et une dépendance trop grande à l’égard de Pékin. En d’autres termes, le RCEP offre de belles perspectives, mais il n’apporte pas, encore, de garanties solides.
Donald Trump et Xi Jinping ont chacun œuvré à la consolidation ou la création de nouvelles alliances. Qui semble le mieux avoir avancé ses pions ?
La présidence de Donald Trump a démarré en Asie avec une décision aussi importante que controversée, le retrait de Washington du partenariat trans-Pacifique (TPP) auquel Barack Obama avait consacré de grands efforts et négocié avec onze pays américains, océaniens et asiatiques. Le TPP a survécu sous la forme du CPTPP, qui en reprend les termes et les membres, sauf les Etats-Unis. Mais cet accord n’était pas solide, et c’est d’ailleurs pour cette raison que Donald Trump le dénonça. Le fait que plusieurs de ses membres, Japon et Australie en tête, mais également la Nouvelle-Zélande et Singapour, aucun des quatre ne pouvant être qualifié d’anti-américain et d’allié stratégique de Pékin, choisissent de rejoindre le RCEP montre bien de quel côté se trouve la dynamique économique, et quel accord est le plus susceptible de leur profiter. Donald Trump avait peut-être raison de considérer que le TPP n’était pas un bon accord, mais il fut incapable de proposer une alternative, et Joe Biden aura la plus grande difficulté du monde à retrouver une place sur le terrain des échanges économiques et commerciaux dans ce qui constitue ce nouveau pivot mondial. Du côté chinois, Xi Jinping a joué la carte des investissements, avec sa Belt & Road Initiative (BRI) et des projets pharaoniques, notamment en Asie du Sud-est, qui est peu à peu devenue le laboratoire de la stratégie d’ouverture (ou d’expansion) de la Chine à l’international, symbolisant ses succès autant que ses limites. Xi a consolidé la relation avec la Corée du Sud, et si la relation avec le Japon reste complexe et est souvent instrumentalisée de part et d’autre, les deux pays se montrent pragmatiques. Leur place côte à côte dans le RCEP en est d’ailleurs le symbole. Idem pour l’Australie, qui se montre méfiante vis-à-vis de la Chine mais consolide dans le même temps ses liens avec Pékin, sans mentionner les pays de l’Asean qui émettent tous des réserves et des inquiétudes mais sont devenus des partenaires incontournables de la Chine.
On pourrait donc en conclure que la Chine est mieux parvenue à s’imposer en Asie-Pacifique que les Etats-Unis au cours des dernières années. Mais il ne faut cependant pas considérer que cette situation est figée et que rien ne pourra arrêter la marche en avant de Pékin. Tout dépendra de l’utilisation que la Chine saura faire de cet avantage relatif, des positionnements des sociétés asiatiques, et pourquoi pas de l’aptitude des Etats-Unis à donner un nouveau souffle à leur politique asiatique, ce qui implique de repenser en profondeur l’engagement américain dans la région, et de cesser de confondre politique asiatique et politique (anti) chinoise. Le défi est immense, cela ne signifie pas qu’il est insurmontable.