06.11.2024
Tensions en Éthiopie : triste scénario, mais ô combien prévisible
Interview
5 novembre 2020
Dans la nuit du 3 au 4 novembre dernier, une base militaire fédérale éthiopienne de la région du Tegray a été attaquée, aggravant les tensions entre la région et le pouvoir central. Avec cet évènement et la déclaration de l’état d’urgence au Tegray, l’Éthiopie semble aujourd’hui au bord de la guerre civile. Le point sur la situation avec le Dr Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’, qui vient de rentrer d’un séjour de deux mois en Éthiopie.
Quelles sont les causes des évènements violents qui viennent de se dérouler en Éthiopie, à la fois dans la région du Tegray, mais aussi dans celle d’Oromi ? Ces évènements étaient-ils prévisibles ?
Les récents événements dans différentes régions d’Éthiopie montrent que la situation sécuritaire se détériore et que le gouvernement central ne maîtrise plus ses régions-États. À la crise sécuritaire se rajoute une situation économique difficile qui n’est pas uniquement liée à la pandémie de Covid-19. Sur le plan politique, les élections ont été repoussées sans que l’on sache quand aura lieu ce rendez-vous important. Les Tegréens reprochent à ce gouvernement de ne pas avoir voulu les organiser et ils estiment que le gouvernement est non légitime. Ils ont notamment organisé leurs élections, ce qui a été sanctionné par Addis Abeba considérant cela comme une provocation.
Depuis plusieurs semaines, les tensions sont donc importantes entre les deux « camps » et la dégradation de la situation était prévisible.
Assistons-nous à une rupture entre la région du Tegray et le centre du pays ?
La rupture est actée. Le 4 novembre 2020, le Premier ministre, Abiy Ahmed, a accusé les Tegréens d’avoir attaqué une caserne de l’armée en région-État du Tegray et il estime que la ligne rouge a été franchie. Il a assigné aux Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE) la mission de « sauver le pays et la région de la spirale de l’instabilité ».
La situation sera très compliquée, car on peine à voir la mission réelle des FDNE dans une région très homogène où l’armée nationale risque de se retrouver en terrain ennemi. De plus, les Tegréens sont nombreux dans l’armée éthiopienne et s’il y avait des combats, il n’est pas sûr que les soldats oromo, amhara ou autres tirent sur d’autres Éthiopiens. Des risques de désertions ne sont pas à exclure.
L’escalade des tensions est-elle aujourd’hui évitable ? Des médiateurs peuvent-ils intervenir pour éviter que la situation dégénère davantage ?
Il faudra une action volontaire des deux camps pour que les tensions diminuent et que le dialogue soit ouvert. Mais, il appartient au Premier ministre de faire le premier pas. L’unité du pays ne peut se faire sans les Tegréens. Il n’est pas inutile de rappeler que l’Éthiopie ne sortit de l’ère Mengistu que grâce aux combats menés par les Tegréens (et les Érythréens) pendant 17 ans. Les élections doivent aussi se tenir rapidement malgré la pandémie de Covid-19.
La crise en Éthiopie est un problème interne au pays et il n’y aura pas de médiation possible de l’Union africaine ni de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (organisation régionale qui couvre les États de la Corne de l’Afrique). Deux États regarderont avec attention les événements : l’Égypte qui compte sur un assouplissement des positions éthiopiennes sur le Grand barrage de la renaissance et l’Érythrée toujours heureuse de voir le poids des Tegréens diminuer dans la région.