17.12.2024
Élections américaines : « Si Donald Trump ne triche pas, il est battu »
Presse
30 octobre 2020
Sur l’agenda, c’est à peu près ce à quoi l’on pouvait s’attendre : volonté de réduire les droits des femmes, des minorités sexuelles et raciales, le fait de s’isoler du monde et d’être dans un fantasme d’un pouvoir très personnel et tout-puissant. L’aggravation de la crise démocratique aussi était prévisible. En revanche, sur le plan de la stratégie de communication et du recours à la désinformation systématique, là, la réalité a dépassé la fiction. L’autre chose très intéressante – bien que pas très surprenante –, c’est comment l’opposition à Trump s’est organisée, que ce soit du côté des féministes, des mouvements antiracistes et des mouvements pour le climat. À voir l’incidence que cet anti-trumpiste a sur l’élection. Autant Trump a aggravé la crise démocratique – un des terreaux sur lequel il avait été élu –, autant il a aussi contribué à revivifier la démocratie, à remettre du politique dans la société américaine, en galvanisant une opposition bien décidée à le faire battre.
Qu’il gagne ou qu’il perde, tout indique que Donald Trump va user de toutes les magouilles possibles – en clair : il va essayer de tricher. Est-ce inédit pour les États-Unis de voir ainsi la démocratie déstabilisée par le Président lui-même ?
Si Donald Trump ne triche pas, il est battu. À ce niveau-là, ça me semble assez inédit, mais ce n’est pas la première fois. Déjà en 2016, certains États conservateurs ont tenté de dissuader un certain type d’électorat d’aller voter, notamment les Noirs. Les textes le leur permettent. Dans certains États du Sud, on demandait aux Noirs d’avoir une carte d’identité avec photo ; on leur interdisait de voter dans le bureau où ils s’étaient inscrits, les obligeant à faire des dizaines de kilomètres ; etc. Tout cela est permis par une décision de la Cour suprême de 2013, qui affaiblit une loi de 1965 contre la discrimination d’accès au vote. La différence avec Trump, c’est qu’il laisse entendre qu’il va tricher. Ce n’est plus de l’ordre du secret. Il dit « si je perds, c’est que l’élection est truquée ». En débat, devant des dizaines de millions de téléspectateurs, il dit « proud boys, stand back and stand by » [1], « tenez-vous prêts si jamais les démocrates trichent le jour du vote ». Ce sont des appels à peine masqués à la violence, à l’insurrection. D’ailleurs, les néo-nazis lui ont répondu qu’ils étaient prêts !
Justement, il y a beaucoup de fantasmes autour de l’idée selon laquelle Donald Trump, s’il perd, pourrait tenter un coup d’État. Vous y croyez ?
Je n’y crois pas trop. Il va essayer de contester l’élection, surtout si le résultat est serré. Mais s’il y a une vague démocrate, si la Floride ou le Texas bascule, c’est fini pour lui. D’autant qu’on n’aura pas le résultat définitif tout de suite, les votes par correspondance – des votes plutôt démocrates – vont mettre plusieurs jours à être entièrement dépouillés. Mais je ne crois pas à cette idée du coup d’État. Je pense plutôt qu’il va accuser les Démocrates d’avoir triché pour « partir la tête haute » et retourner à son business. Ce qui ne veut pas dire que parmi ses soutiens il n’y ait pas de la déception, des débordements, de la violence.
On ne sait pas qui va l’emporter dans ce duel Trump-Biden, mais une chose semble acquise : le prochain Président n’est déjà pas légitime aux yeux de milliers d’Américains. Qu’en dites-vous ?
Le monde occidental vit une crise démocratique. Aux États-Unis, c’est surtout le signe d’une telle polarisation de la société et de la vie politique que la difficulté à admettre la défaite est immense. Les Américains sont devenus incapables de faire des compromis sur des sujets d’intérêt général. Et puis chaque camp pense que l’autre ment.
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Propos recueillis par Loïc Le Clerc pour Regards