18.11.2024
Les Chinois pensent que l’ère de la super puissance américaine est terminée. Ont-ils raison ?
Presse
26 octobre 2020
Les dirigeants chinois sont convaincus depuis plusieurs années que les Etats-Unis sont en déclin. C’est évidemment un constat que de nombreux observateurs des relations internationales partagent, et qui se vérifie à l’aune de l’engagement de Washington sur la scène internationale et de l’influence que la Maison-Blanche exerce sur le reste du monde. Mais dans le cas de la Chine, ce constat est associé à la montée en puissance chinoise, et c’est ainsi sur la base d’un balancier que Pékin voit son influence grandir au fur et à mesure que celle de Washington diminue. Tant sur les questions économiques que stratégiques et culturelles, le déclin des Etats-Unis est clairement identifié en Chine depuis deux décennies. Il coïncide avec plusieurs évènements aussi différents que convergents sur l’impact qu’ils exercèrent sur la place de Washington dans le monde: les attentats du 11 septembre 2001, l’entrée de la Chine à l’OMC quelques semaines plus tard, la guerre d’Irak de 2003… et plus près de nous la crise économique de 2008, née de la crise des subprimes aux Etats-Unis. En parallèle, la Chine a officialisé sa stratégie de soft power en 2007, lancé sa Belt & Road Initiative (BRI) en 2013, accru ses capacités militaires et son influence diplomatique et renforcé son économie jusqu’à concurrencer le géant américain. La dernière décennie fut ainsi marquée par l’affirmation de puissance de la Chine, tandis qu’elle marqua dans le même temps la perte d’influence progressive des Etats-Unis.
Le mandat de Donald Trump eut un effet accélérateur sur le désengagement américain, et était même la volonté du président américain, comme en témoigne le retrait du Trans-Pacific Partnership (TPP) dès sa prise de fonction, puis le retrait d’instances onusiennes et le désintérêt manifesté à l’égard d’enjeux transnationaux. En ce sens, le locataire de Washington fit le jeu de Pékin, qui profita de ce repli sur soi américain pour étendre son influence et pour compenser la vacance du leadership américain. Pékin voit ainsi clairement dans le mandat de Donald Trump une accélération d’un déclin enclenché dès le tournant du millénaire, à tort ou à raison. Mais cela ne veut pas dire que Pékin voit potentiellement dans une victoire de Joe Biden le « retour » de Washington, puisque les dirigeants chinois sont convaincus que déjà sous le mandat de Barack Obama, le déclin américain était bien enclenché et qu’il faut continuer de capitaliser dessus.
Guerre commerciale, gestion de la crise sanitaire… Pour le Président américain, toutes les occasions sont bonnes pour rabaisser la Chine. Cette obsession donne-t-elle raison aux Chinois ?
Depuis deux décennies, quelle que soit l’administration au pouvoir, la politique asiatique de Washington est en fait une politique chinoise, dont le seul objectif est de contenir, voire contrer, l’émergence de Pékin. A l’endigagement prôné sous l’administration Bush fils a succédé la stratégie du pivot de Barack Obama, et enfin les guerres commerciales de Donald Trump. Si la méthode est très différente, l’objectif reste le même: trouver toutes les conditions permettant de contenir Pékin en Asie. Avec le mandat Trump, cette obsession chinoise a franchi un nouveau cap, puisque c’est désormais toute la politique étrangère de Washington qui est une politique chinoise, traduisant l’incapacité des dirigeants américains, républicains ou démocrates, à répondre autrement que par l’obsession à la montée en puissance chinoise. Donald Trump ne cherche pas à rabaisser la Chine, il l’accuse de tous les maux dont souffre l’Amérique. Mais en ce sens, il ne s’éloigne pas de la ligne de ses prédécesseurs, seule l’ampleur des problèmes auxquels sont confrontés les Etats-Unis a augmenté. On peut même s’interroger: quand une puissance n’existe plus que dans le miroir de son compétiteur désigné et de ses succès, est-elle encore une grande puissance?
Le diagnostic de Donald Trump sur le déclin américain face à la Chine au début de son mandat était juste. Mais il ne fut jamais en mesure de trouver le bon remède, et son obsession de plus en plus prononcée fait même le jeu de Pékin, qui peut se présenter comme bouc-émissaire et se positionner exactement à l’opposé de ce que fait Washington pour accroître son influence. Ainsi, quand les Etats-Unis se retirent des instances internationales, la Chine insiste sur leur importance; et quand Washington privilégie l’intérêt national, c’est la mondialisation et l’inclusion que Pékin met en avant. Si les décideurs politiques et analystes américains sont obsédés par la Chine, les Chinois sont de leur côté à l’affût de tout ce que proposent les Etats-Unis, pour exploiter toutes les failles, et cette obsession chinoise est ainsi devenue le principal problème de Washington, plus que la Chine elle-même.
La Chine peut-elle vraiment supplanter les Etats-Unis comme première puissance mondiale ?
Aujourd’hui, la question n’est plus tant de savoir si la Chine peut devenir la première puissance mondiale, mais quand et avec quelles conséquences. Il y a d’abord la question du système dans lequel nous vivons depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et qui consacre la place centrale des Etats-Unis. La Chine aura-t-elle la volonté, et la puissance, de bouleverser ces règles du jeu, en imposant de nouvelles organisations ou en détournant celles existantes à son profit? Il y a aussi la question de la nature du régime. Les Etats-Unis sont souvent critiqués sur la scène internationale, mais ils restent une démocratie, ce que n’est pas la Chine. A quoi peut ressembler un ordre international au sommet duquel se hisse un Etat non démocratique? Il y a une question d’ordre culturel. Pour la première fois depuis cinq siècles, le centre de gravité des relations internationales sera – s’il n’est déjà – en Asie. Se pose ainsi la question du rapport de la Chine avec ses voisins et des valeurs qu’elle véhicule, à coup de confucianisme et de Tianxia. Enfin, et surtout se pose la question des perceptions de cette transition de puissance, ce qui nous ramène à la manière avec laquelle les dirigeants américains réagiront face au déclin relatif mais réel de leur pays (et on voit bien que c’est déjà le cas), car dans cette transition de puissance, c’est surtout la puissance en déclin qui peut être tentée de modifier un rapport de force qui lui est défavorable, et ainsi être révisionniste.
En clair, la question n’est pas ici de savoir si le monde sera plus stable et plus prospère ou au contraire instable et injuste avec la Chine comme première puissance mondiale, mais dans quelles conditions cette transition de puissance s’opère. C’est le principal sujet des relations internationales contemporaines.