ANALYSES

Afrique : quelle géopolitique du Covid-19 ?

Interview
2 novembre 2020
Le point de vue de Caroline Roussy


Si le Covid-19 semble avoir jusqu’alors davantage épargné le continent africain, la pandémie a toutefois pesé de manière différenciée sur les processus électoraux en cours et a été sujette à de multiples instrumentalisations. Le point avec Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, en charge du programme Afrique/s.

Comment se fait-il que l’Afrique semble avoir été davantage épargnée par la pandémie de Covid-19 ?

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, affirmait en mars dernier que l’Afrique dénombrerait « nécessairement des millions de morts » créant stupeur, anxiété ou colère. Durant cette séquence médiatique, aucun élément méthodologique n’a été apporté pour justifier la position de M. Guterres, laissant plus sûrement entrevoir des représentations multiséculaires négatives projetées de l’Occident sur l’Afrique, projection de ses propres peurs. Démontrant des capacités de résiliences, de réponses nationales et différenciées, des mesures ont rapidement été prises dans les 54 pays, tandis que la capacité de propagation du virus sur le continent n’était pas encore connue.

Le continent africain est, à ce jour, celui qui a enregistré le moins de décès. Selon le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union africaine, le 29 octobre 2020, 42 336 morts étaient confirmées pour une population africaine estimée à 1,2 milliard de personnes. D’où des spéculations selon lesquelles les vrais chiffres ne seraient pas connus, mettant les gouvernements en accusation. L’hypothèse est crédible. Toutefois des personnes atteintes d’insuffisances respiratoires, sinon à ne pouvoir se déplacer jusque dans un centre sanitaire – ce qui ne saurait être exclu – , sont facilement identifiables… Un dernier point moins connu est celui de la stigmatisation des malades atteints du Covid-19 préférant ainsi taire leur infection – et ce quitte à refuser toute hospitalisation –, de crainte d’être ostracisé (individuellement ou même avec l’ensemble de leurs proches) des communautés dans lesquelles ils évoluent.

Seuls les scientifiques, et après études contradictoires, pourront évaluer et expliquer cette faible létalité. Pour l’heure, après avoir soutenu les thèses du professeur Raoult à propos de l’hydroxychloroquine comme remède préventif, certains avancent que la pyramide des âges et l’extrême jeunesse de la population sont un avantage comparatif alors que le virus toucherait plutôt les personnes âgées. L’écrivain Gauz, le 18 avril, signait un papier au titre éloquent : « Le coronavirus n’a plus de vieux à tuer sur ce continent ». Cette affirmation est pour partie vraie, mais obère les décès corollaires du Covid-19. En effet, des personnes plutôt aisées, atteintes de comorbidités, n’ont pu, durant la fermeture des frontières aériennes, suivre leurs soins à l’étranger, révélant les carences de nombre de services hospitaliers africains.

Quel impact le Covid-19 a-t-il eu sur les processus électoraux ?

Le Covid-19 s’est brusquement invité dans l’agenda médiatique au point d’occulter – médias spécialistes à part – les effets sur les processus électoraux en Afrique. Tout à leur calendrier politique, et sans que les effets de la pandémie sur le continent ne soient encore connus – dans un climat anxiogène entretenu par l’ONU et l’OMS – , les processus électoraux ont été maintenus : en Guinée ou au Mali pour ne citer que deux exemples. Le 1er mars, en raison d’un fichier électoral vicié, les observateurs internationaux quittaient le pays. Un toilettage dudit fichier en quelques semaines à peine, un boycott de l’opposition ; le 22 mars Alpha Condé organisait un double scrutin – législatives couplées à une révision constitutionnelle. Sur son compte twitter, l’opposant Cellou Dalein Diallo avait déploré cette attitude jusqu’au-boutiste pouvant également être interprétée comme une manœuvre politicienne: « Alors que tous les pays africains ferment écoles, lieux de culte et interdisent les regroupements, Alpha Condé maintient son double scrutin et expose les Guinéens à la pandémie. C’est inhumain ». En vain. Dans les jours qui ont suivi, en l’absence du respect des règles barrière, les nombres de cas ont augmenté dans le pays avec, à relever, sans que la corrélation ne puisse strictement être établie, le décès de plusieurs hauts cadres de l’État guinéen.

Au Mali, en dépit de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire le 25 mars, les élections législatives ont également été maintenues. Et le premier tour s’est déroulé le 29 mars.

Ainsi, la pandémie s’est révélée opportune permettant, en Guinée, à Alpha Condé de se préparer la voie vers un troisième mandat et au parti d’IBK (Ibrahim Boubacar Keita) de remporter la majorité à l’Assemblée nationale tandis que son principal opposant, Soumaila Cissé avait été kidnappé par les djihadistes, et ce, loin des préoccupations des médias et, in fine, de la communauté internationale. Le Covid-19 n’a, par conséquent, eu aucun impact sur les processus électoraux, qui au demeurant continuent de se tenir. La faible létalité du virus et la question centrale du 3e mandat dans les deux pays cités ont occulté la question sanitaire.

Certains États africains ont-ils joué de la crise sanitaire pour renforcer leur contrôle sur la population ?

En Afrique de l’Ouest, comme ailleurs, le contexte sanitaire a pu être un prétexte, pour les gouvernements, de décréter un couvre-feu, renforcer la présence et la visibilité des forces de l’ordre dans l’espace public, et ce plus particulièrement dans les contextes soumis à des processus électoraux où l’opposition demeurait mobilisée (cas de la Guinée). Les restrictions de déplacements, à l’intérieur des pays et vers l’étranger, ont facilité la surveillance, voire la neutralisation, des opposants et manifestants, dont la fuite vers d’autres pays, dans un contexte de fermeture des frontières, a été rendue plus difficile. La vigilance à l’égard des violences perpétrées contre les opposants et les citoyens a, dans cette séquence, été amoindrie dans des pays comme la Guinée, par les ONG de veille comme Human Rights Watch ou Amnesty International. Dans le contexte pandémique, ces ONG ont rencontré des difficultés méthodologiques à renseigner leur travail de veille et de documentation, les directions ayant souvent cherché à protéger leurs employés en limitant leurs déplacements, voire en demandant leur rapatriement temporaire.

La propension des pouvoirs publics à user de la violence envers les soulèvements populaires ne saurait être attribuée au seul virus, mais aux effets sociopolitiques et économiques induits par la pandémie qui touchent les populations les plus défavorisées. Au Nigeria, des règles strictes ont été édictées, soit l’interdiction formelle de travailler, au point de créer des tensions entre les populations et les forces de l’ordre. Le 16 avril, 18 personnes ont été tuées par la police pour non-respect des règles de confinement. Le 27 avril, des ouvriers cherchant à braver l’interdiction et à reprendre leur activité dans la raffinerie d’Aliko Dangote, à Lagos, a créé une vive altercation avec les forces de l’ordre. Considérant ces différents événements, qui fossoyaient une crise économique déjà pendante, et un risque d’embrasement généralisé, le président Buhari a annoncé un déconfinement progressif à compter du 4 mai.

À l’inverse, la crise du Covid-19 a également été un révélateur et un accélérateur de la détérioration du climat socio-économique et politique, notamment au Mali, ayant entraîné la chute du président IBK.

Si certains États ont essayé de resserrer l’étau sur leurs concitoyens, cela a pu dans certains cas se retourner contre eux nécessitant de considérer la situation de chaque pays au cas par cas.

Quelles stratégies les États africains ont-ils usé dans la lutte de l’information durant la crise du Covid-19 ?

Le Burundi est sans doute l’exemple le plus patent d’infox gouvernementale. Le gouvernement de Pierre Nkurunziza a considéré que le Covid-19 était une manipulation orchestrée par la communauté internationale et a été jusqu’à faire expulser des représentants de l’OMS. Ce dernier serait vraisemblablement décédé du virus 15 jours après l’élection de son successeur Évariste Ndayishimiye, soit peu avant son investiture officielle, ce qui aurait pu créer les conditions d’une crise institutionnelle.

Toutefois, nombreux sont les gouvernements à s’être investis dans la lutte contre les infox, et ce parfois au prix de mesures radicales avec des traductions en justice de personnes diffusant de fausses informations (ex : Ouganda, Afrique du Sud). Ils ont également pu raffermir leur contrôle sur le travail des journalistes avec le risque de restreindre la liberté de la presse et d’empêcher le traitement de sujets connexes comme la crise économique.

Le caractère mondialisé de l’épidémie et l’interconnexion des réseaux sociaux et médias ont favorisé la viralité d’infox sur le continent africain, et ce comme partout ailleurs – à tel point que l’OMS qualifie la situation d’ « infodémie » : rumeurs de vaccination pour ne pas dire d’inoculation volontaire du virus, remèdes miracles (sorcellerie, maraboutage), vidéos sorties de leur contexte, maladie amenée par les Blancs (Occidentaux et Chinois affublés du sobriquet Coronas), etc. ont entretenu la psychose dans un contexte où le Covid-19 et son évolution sont encore mal maîtrisés[1]. Un site, issu d’une initiative citoyenne, de lutte contre les infox, Africa Check, a, dans cette période, redoublé d’efforts. Comme le souligne le rédacteur en chef du site, Samba Dialimpa Badji, la difficulté est d’une part de lutter contre la viralité des infox qui, par nature, est plus rapide que la vérification et le démenti desdites informations et, d’autre part, de surmonter le barrage de la langue qui empêche une partie des populations à accéder massivement aux informations officielles.

Face à cette infodémie, « la seule “barrière” valable est (…) un niveau d’éducation et [une capacité critique] élevé », selon l’éditorialiste François Soudan. Et dans ce domaine, les populations africaines ne sont pas toujours les mieux loties.

—————-

[1] « (…) une vidéo a été partagée sur WhatsApp, où on voit des hommes blancs dans un village qui se trouve en Casamance, avec un groupe de personnes. Le message vocal qui accompagne la vidéo dit que ce sont des gens qui sont en train de procéder à une vaccination pour répandre le virus » in https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200419-infox-covid-19-en-afrique-samba-dialimpa-badji-africa-check

—————–
Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.
Sur la même thématique