20.11.2024
Covid-19 : une bataille stratégique entre la Chine et les Etats-Unis en Amérique latine
Tribune
26 octobre 2020
Plus tardivement touchée que l’Europe – les premiers cas de malades du coronavirus apparaissent en Amérique latine les 26 et 29 février 2020 au Brésil puis en Equateur, avant d’autres début mars au Chili, en Colombie et au Pérou -, la région n’en est pas moins devenue, avec les Etats-Unis, l’épicentre mondial de la pandémie de Covid-19 à partir de juin 2020. Plus de 10 millions de personnes y sont (officiellement) infectées et plus de 380 000 morts y sont à déplorer.[1] Cinq pays parmi les dix plus touchés au monde en nombre de personnes contaminées sont latino-américains (Brésil – 3ème -, Argentine – 5ème -, Colombie – 7ème -, Pérou – 9ème -, Mexique -10ème). Le Brésil (2ème), le Mexique (4ème), le Pérou (9ème), la Colombie (11ème), l’Argentine (12ème), le Chili (15ème) intègrent la liste des quinze pays qui comptent le plus de morts au monde. Enfin, six pays parmi les dix où le taux de morts pour un million d’habitants est le plus haut au monde sont également latino-américains (Pérou – 1er-, Bolivie – 4ème -, Brésil – 5ème -, Chili – 7ème -, Equateur – 8ème -, Mexique – 9ème)[2].
Fragilités structurelles face à la pandémie
La vulnérabilité de l’Amérique latine ne saurait constituer une surprise. Cette région conjugue en effet plusieurs facteurs structurels qui la rendent particulièrement exposée. Sur le plan sanitaire, elle est déjà frappée par l’épidémie de dengue la plus forte de son histoire (plus de trois millions de personnes infectées en 2019, plus de 1,9 million au premier semestre 2020). Dans le même temps, les pays latino-américains sont particulièrement touchés par de nombreuses maladies qui favorisent la létalité du coronavirus chez les personnes touchées : obésité, maladies cardio-vasculaires, diabète, etc.
Ces périls pèsent directement sur des systèmes de santé sous-équipés et sous-financés. Les États latino-américains ont ainsi dépensé 2,2 % du PIB régional dans ce secteur en 2018, tandis que l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) estime que ce montant devrait atteindre 6 % par an pour progressivement permettre une couverture universelle pour les populations et réduire les inégalités d’accès. En effet, les systèmes de santé latino-américains sont morcelés entre offres publiques défaillantes réservées à la masse des personnes pauvres ou disposant de peu de revenus et offres privées mieux dotées proposées à celles qui en disposent. Et ce, tandis que la région révèle une situation socio-économique dégradée depuis une dizaine d’année qui attise la propagation du virus. Ainsi, près de 40 % de la population latino-américaine est pauvre, plus de la moitié des travailleurs dépend du secteur informel[3], plus de 100 millions de personnes (soit environ une personne sur six) vivent dans des conditions d’habitat insalubres dans des pays caractérisés par de fortes concentrations urbaines. La combinaison de l’ensemble de ces phénomènes sanitaires, sociaux et institutionnels entrave, d’une part, la bonne application des règles sanitaires et de distanciation physique exigées pour enrayer la propagation virale et exacerbe, d’autre part, les vulnérabilités et les fractures de l’organisation sociale et des États latino-américains.
Confrontation hégémonique
Entre Washington et Pékin, la pandémie de Covid-19 fait l’objet d’une âpre bataille diplomatique et de communication autour du thème de la solidarité avec l’Amérique latine. Les deux puissances y rivalisent ainsi dans le soutien qu’elles apportent. La Chine, la plus massivement présente dans la plupart des pays[4], notamment sud-américains, a déjà organisé le don de millions de masques, la fourniture de matériel médical (ventilateurs, scanners, kits de test, etc.), le déploiement de personnels médicaux pour soutenir les structures sanitaires locales. Pékin a également promis le prêt de 1 milliard de dollars aux pays de la région pour leur garantir l’accès au vaccin qu’il produira contre le coronavirus. Le Venezuela a déjà annoncé qu’il entamera une campagne de vaccination nationale en décembre et en janvier avec les vaccins chinois et russe.
Pour leur part, les Etats-Unis – qui ont désigné la Chine comme menace pour leur « sécurité nationale » en Amérique latine – ont fourni quelques centaines de milliers de masques et des milliers de kits de test à leurs partenaires, notamment centre-américains et caribéens. Washington a également décidé le redéploiement de fonds déjà programmés de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) auprès de ces pays pour un montant d’environ 150 millions de dollars[5] .
Les deux acteurs se préparent également à une bataille économique et financière d’envergure dans la perspective de la relance des économies latino-américaines qui vont connaître une crise sans précédent en 2020 et 2021.
Dans cette optique, Washington a imposé Mauricio Claver-Carone à la tête de la Banque interaméricaine de développement (BID) le 12 septembre 2020. Pour la première fois, un non latino-américain va diriger l’organisme multilatéral. Farouche partisan d’une ligne dure contre la Chine, il souhaite substantiellement augmenter le capital de la BID pour lui permettre d’endiguer, en lien avec le FMI et la Banque mondiale, la politique offensive de la Chine en matière d’investissements et de prêts dans la région – l’empire du Milieu est devenu le premier prêteur latino-américain – et favoriser les investissements du secteur privé américain dans les économies latino-américaines. Washington mène parallèlement une campagne active contre les sociétés chinoises implantées dans la région (notamment Huawei -5 G-, ZTE, Shanghai SVA, China TCL Group, etc.).
La première puissance mondiale promeut également un nouveau un plan d’investissements et de financement des infrastructures latino-américaines doté de 60 milliards de dollars. Nommé « Growth in the Americas» (« Croissance dans les Amériques »), il cherche à freiner l’insertion des pays latino-américains aux nouvelles routes de la soie chinoises ( dix-neuf d’entre eux y sont déjà associés).
Pour sa part, Pékin soigne ses relations bilatérales et multilatérales avec les pays latino-américains et annonce la mise en place d’une nouvelle « association stratégique intégrale » avec l’Argentine.
La pandémie de Covid-19 en Amérique latine et la mobilisation de la Chine et des États-Unis pour y faire face confirment que le sous-continent est devenu l’un des principaux fronts de la confrontation hégémonique entre les deux puissances dans l’arène internationale.
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[1] Sur un total mondial de près de 41 millions de cas et de plus de 1,1 million de morts (21 octobre 2020).
[2] Selon les données de l’université John Hopkins (Etats-Unis), https://coronavirus.jhu.edu/map.html
[3] Sans droits sociaux ni protection sociale et des risques, l’arrêt du travail signifie pour eux celui, quasi immédiatement, du revenu, entraînant des conséquences économiques et sociales majeures (faim notamment).
[4] A l’exception de Haïti, du Honduras, du Guatemala, du Nicaragua et du Paraguay qui reconnaissent Taïwan.
[5] « Aid from China and The US to Latin America amid the Covid-19 crisis », The Wilson Center, 21/10/2020, https://www.wilsoncenter.org/aid-china-and-us-latin-america-amid-covid-19-crisis
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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.