06.11.2024
Tout semble permis pour ralentir le secours en mer
Presse
22 octobre 2020
Cela dépasse la période de crise sanitaire. En juin 2018, l’Aquarius aura mis une semaine pour être orienté vers un port sûr et débarquer plusieurs centaines de migrants et en septembre, le navire marchand Maersk Etienne aura mis plus de 5 semaines à faire débarquer 27 naufragés. De telles pratiques, répétées, constituent un bras d’honneur au droit maritime. En aucun cas la nationalité des personnes secourues en mer ne doit entrer en ligne de compte dans l’obligation d’achever rapidement des opérations de sauvetage. Or, sous le prétexte de la crise sanitaire actuelle, les États européens n’hésitent pas à utiliser des navires comme sites pour maintenir des personnes en quarantaine en mer (en se passant bien sûr de l’avis des capitaines), et ces bateaux étant généralement inadaptés d’un point de vue sanitaire pour faire face à un volume important de personnes, je vous laisse imaginer les conditions de vie à bord. L’Organisation maritime internationale montre ici pleinement ses faiblesses en n’arrivant pas à se positionner fermement pour pousser les États européens à respecter le droit maritime existant.
Les autorités profitent-elles du contexte pour empêcher les ONG de faire leur devoir de sauvetage ?
Non. Le contexte sanitaire impacte tout le monde et les autorités maritimes dans les ports européens de débarquement n’ont pas besoin du contexte sanitaire pour être bloquant. Tous les navires d’ONG sont actuellement immobilisés, et tous le sont pour raisons administratives. Parce qu’ils ne sont pas en règle pour l’évacuation de leurs déchets médicaux ou parce qu’ils transportent plus de gens que leur certificat permet. Tout semble permis aujourd’hui pour ralentir les opérations de secours en mer. Or pendant ce temps, des gens continuent de traverser.
Que pensez-vous du pacte migratoire présenté par l’UE ?
Le pacte sur la migration et l’asile de la Commission européenne propose l’amélioration des procédures, le partage des responsabilités entre États membres et la coopération avec les pays d’origine… On peut légitimement se demander où est la nouveauté et noter le silence sur l’obligation de secours en mer.
Quelle est la différence entre politique migratoire et politique d’asile ?
Je me demande s’il faut les différencier. Les fonctionnements des institutions actuelles sont basés sur cette distinction. L’Ofpra s’y accroche et ne peut pas faire autrement pour le moment vu les cadres juridiques, pour autant, on peut se demander si ces cadres sont encore adaptés au vu des trajectoires migratoires individuelles. La décision de migrer ailleurs relève rarement d’une cause unique, les raisons économiques et politiques sont parfois très entremêlées. Celles et ceux qui ont à faire cette sélection tous les jours ont beaucoup de mérite car c’est une charge émotionnelle qui doit être extrêmement lourde à porter. Quant à l’obligation de secourir toute personne en détresse en mer, sans délai, peu importe les profils, elle est inscrite depuis longtemps dans le droit maritime (1681). En soi, elle ne dépend ni de l’une, ni de l’autre. Or en pratique, elle en est devenue dépendante. C’est en cela que l’obligation de secours en mer s’est politisée, bien malgré elle.
Selon vous, les médias ont-ils un rôle à jouer ?
La couverture médiatique concernant les opérations de secours en mer est très déséquilibrée et c’est un réel sujet. Les actions des ONG – et leurs nombreux déboires – sont régulièrement relayées par les médias, les difficultés de travail des douanes maritimes beaucoup moins, or il est avéré qu’elles interviennent aussi dans les opérations de secours. Même si l’action gouvernementale est dans une ligne restrictive, en phase avec la politique migratoire européenne, il y a bien des navires de douanes français qui appuient en mer des opérations Frontex pour les activités de recherche et de sauvetage. Mais le sujet étant extrêmement polémique, on note une faible communication gouvernementale sur le sujet. Au niveau des ONG, l’action médiatique participe à la mobilisation citoyenne, ce qui est important d’un point de vue financier – une journée en mer coûte 14 000 euros, selon SOS Méditerranée – et du point de vue de l’action citoyenne, en permettant à tous ceux qui le souhaitent de s’approprier le sujet.