21.11.2024
En attendant Hitchens
Correspondances new-yorkaises
9 octobre 2020
« C’est dingue ! C’est tout simplement irresponsable ! », a hurlé, fou de rage, Harald Schmidt, professeur adjoint d’éthique médicale et de politique de la santé à l’Université de Pennsylvanie, devant des médias qui l’interrogeaient lundi 5 octobre au soir après les dernières déclarations de Donald Trump.
Les experts en santé publique avaient espéré que le Donald, enfin conscient de la gravité de la pandémie de Covid-19 suite à sa propre infection et à celle de plusieurs de ses proches, allait finalement expliquer à ses aficionados que le port de masques et la distanciation sociale étaient essentiels pour se protéger eux-mêmes et leur famille.
Mais au lieu de cela, tweetant lundi après-midi depuis l’hôpital militaire où il recevait un traitement de pointe, le président américain a une fois de plus minimisé la menace mortelle du virus. « N’ayez pas peur du Covid », a-t-il écrit. « Ne le laissez pas dominer votre vie. »
Lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche quelques heures plus tard, Trump a ostensiblement enlevé son masque avant de rejoindre plusieurs personnes présentes dans son bureau. Et cela bien qu’il se sache encore contagieux…
Le Dr William Schaffner, spécialiste des maladies infectieuses à la Vanderbilt University Medical School, a qualifié le message du président de « criminel » car il encourage ses adeptes à ignorer les recommandations de base pour se protéger. « Cela va conduire à un comportement encore plus décontracté, ce qui va entraîner une plus grande transmission du virus, et donc plus de décès. »
Et c’est sans parler ici, de la sortie – surprise – en voiture du Donald, dimanche après-midi, afin de saluer pendant quelques minutes ses fans agglutinés devant les portes de l’hôpital.
Sortie qui a obligé un chauffeur et des membres des services secrets à se retrouver, peut-être au péril de leur vie, enfermés dans un véhicule avec un malade du Covid-19 ! Et cela sans aucune raison. Juste pour satisfaire le caprice d’un Ubu roi lancé dans une course en avant qui conduit une Amérique en pleine crise sanitaire, financière, sociale et politique au bord de l’abîme !
210 240 MORTS AUX ÉTATS-UNIS À L’HEURE OÙ J’ÉCRIS CES LIGNES. PLUS QUE LE NOMBRE COMBINÉ DES VICTIMES AMÉRICAINES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE ET DE LA GUERRE DU VIÊT-NAM …
Un nombre qui selon les experts aurait pu facilement être réduit de plus de moitié si Trump avait agi depuis le printemps en chef d’État lucide et responsable et non en candidat à la présidentiel obsédé par sa réélection au point d’en perdre tout sens moral.
Comment donc s’étonner de l’entendre déclarer aujourd’hui que le virus n’est rien de moins qu’un petit rhume dont il ne faut guère se préoccuper. Il y a une logique dans cet esprit que certains commentateurs disent « pour le moins troublé ». Il sait que l’élection du 3 novembre va se jouer en fonction du nombre de personnes qui se déplaceront aux urnes. Il sait qu’avec ce début de seconde vague qui voit New York et plusieurs villes du pays se reconfiner, de très nombreux démocrates décideront au dernier moment de rester chez eux. Majoritairement impopulaire dans le pays, il sait que sa seule chance est que ceux qu’Hillary Clinton appelait « les déplorables » aillent voter en masse !
Alors, surtout ne pas mettre dans la tête de ces derniers qu’ils risquent quelque chose ! Qu’ils se rendent aux bureaux de vote, peu importe ce qui leur arrivera ensuite ! Être réélu est tout ce qui importe, oui, et à n’importe quel prix !
Le pire, c’est que ça peut marcher.
Interrogé mardi soir devant la Maison-Blanche ou il brandissait une pancarte Keep America Great -sic-, Dany, un red neck, très fier de ne pas porter de masque même dans les magasins, a déclaré : « Pourquoi j’aurais peur de cette maladie ? Si j’l’attrape, j’ai 99% de chance de ne pas en mourir ! Regardez notre président ! »
Sure, Dany. Et je suis d’ailleurs certain que si vous tombez malade, vous aurez droit aux mêmes soins et à la même équipe médicale que votre cher président.
Naguère, le très regretté Christopher Hitchens avait publié un ouvrage intitulé Les crimes de Monsieur Kissinger. Indiscutablement, un tel livre reste à écrire sur Trump.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.