18.12.2024
La crise du Covid-19 en Iran
Tribune
5 octobre 2020
L’Iran a été particulièrement affecté par la crise du Covid-19, avec le plus grand nombre de décès dans la zone Moyen-Orient/Asie, après l’Inde. Il est donc très révélateur d’analyser l’impact de la pandémie sur l’environnement géopolitique et les relations entre la société et le pouvoir dans ce pays.
La crise du Covid-19 et l’environnement géopolitique de l’Iran
L’épidémie s’est propagée à une période où les tensions entre les États-Unis et l’Iran étaient à leur apogée, du fait de la politique américaine de « pression maximum »[1]. Initialement, les autorités américaines vont, du fait de l’arrivée de l’épidémie en Iran, appuyer leur stratégie de délégitimation du pouvoir iranien. À la mi-mars 2020, le secrétaire d’État Mike Pompeo a ainsi déclaré que le « pouvoir iranien ment à sa population [au sujet de la pandémie] pour cacher son incompétence[2] … ». Les autorités iraniennes vont à leur tour organiser une campagne de communication basée sur le fait que l’application des sanctions américaines empêche l’Iran d’acheter des médicaments et des équipements pour lutter contre le virus[3]. Cette campagne va s’avérer relativement efficace puisqu’outre les alliés traditionnels de l’Iran, comme la Chine ou la Russie, les pays européens et des personnalités politiques américaines comme Bernie Sanders vont également demander un assouplissement des sanctions américaines. Cette passe d’armes va donner l’occasion aux Européens d’afficher leur différence par rapport au gouvernement de Donald Trump. Fin mars 2020, l’UE a annoncé une livraison d’équipements médicaux via Instex, le mécanisme de troc avec l’Iran mis en place pour contourner le recours aux transactions en dollars, et donc les sanctions américaines. Cela étant, le soutien européen à l’Iran reste limité puisqu’il n’y aura aucune autre transaction depuis à travers Instex. En fait, le grand allié de l’Iran, durant cette période, est la Chine qui a régulièrement envoyé du matériel médical et du personnel soignant à son allié[4]. Il est clair que la Chine a intensifié son partenariat stratégique avec l’Iran à cette occasion.
La crise du Covid-19 et les relations société/pouvoir en Iran
Cette pandémie est apparue en Iran alors qu’on a assisté, depuis quelques mois, à une véritable crise de confiance entre la population et le système politique du fait, notamment, de l’incapacité des autorités à donner un bilan du nombre de victimes après les soulèvements de la fin 2018 et des mensonges officiels dans les premiers jours qui ont suivi l’incident du Boeing ukrainien, abattu par des missiles tirés par les Pasdarans début 2020. Les autorités iraniennes, conscientes de cette situation, ont bien essayé d’éviter de politiser la gestion de la crise en confiant la responsabilité au ministre de la Santé, Saïd Namaki. Cela n’a pas suffi. Dès début février 2020, des rumeurs se sont répandues sur les réseaux sociaux sur le fait que, contrairement à ce qu’annonçaient les autorités, les vols avec la Chine (qui auraient conduit à la diffusion du virus en Iran) n’ont pas été interrompus. Face à ces rumeurs, la compagnie aérienne Mahan a répondu que les liaisons avec la Chine servaient maintenant à acheminer du matériel médical[5].
Parallèlement, le sentiment selon lequel les autorités cachent l’ampleur de l’épidémie gagne la population[6]. Sadegeh Zibakalam, un universitaire proche des milieux modérés, note à ce propos que cette crise de confiance est un vrai handicap pour la gestion de cette crise puisque la population est réticente à appliquer les consignes officielles[7]. Une autre critique de la population porte sur l’incapacité des autorités à présenter une réponse coordonnée. Abbas Abdi, un journaliste proche également des modérés, remarque à ce sujet que les autorités n’ont pas osé mettre la ville de Khom en quarantaine en février 2020 dès l’apparition des premiers décès à cause de la difficulté à convaincre les autorités religieuses[8]. Face à ces critiques, le président Hassan Rohani, de manière assez classique, met en avant la capacité de l’Iran à résister à cette épidémie alors que le pays doit faire face en même temps aux sanctions économiques américaines.
On voit donc que le débat a été vif en Iran entre la société et le système politique sur la gestion de la pandémie. L’intensité de ce débat, par la presse et les réseaux sociaux interposés, entre les autorités et la société civile, intervient à un moment où le président iranien doit faire face à une opposition politique grandissante puisque le nouveau Parlement, élu en février 2020, a une majorité de radicaux. Un certain nombre d’entre eux projettent même, du fait de la gravité de la crise économique que traverse l’Iran, à cause notamment de l’effet conjugué des sanctions et du Covid-19, d’engager une procédure de destitution du président. Il n’est pourtant pas sûr que tous les groupes radicaux adhèrent à cette idée. Une vacance du pouvoir pourrait en effet affaiblir l’Iran dans une période où il doit faire face à la « pression maximum » des États-Unis.
[1] Depuis leur sortie de l’Accord sur le nucléaire de 2015, en mai 2018, ils souhaitent notamment une renégociation de cet accord, et des accords sur la politique régionale et le programme balistique iranien.
[2] « US uses encrypted app to connect with Iranians as coronavirus sweeps their country”, CNN, 18 mars 2020.
[3] « Le monde veut la fin des sanctions contre le peuple iranien », IRNA, 19 mars 2020.
[4] « Quels sont les pays qui jusqu’à maintenant ont aidé l’Iran à lutter contre le coronavirus ? La Chine est le pionnier en matière d’aide », Tabnak, 18 mars 2020.
[5] « Les vérités et les mensonges au sujet du Corona », Donia Eqtesad, 22 février 2020.
[6] Cette perception est notamment alimentée par les déclarations en août 2020 d’un officiel iranien, Mohamad Reza Mahboubfar, qui accuse les autorités de dissimuler les vrais chiffres sur la pandémie. Signe de la sensibilité des autorités à ce sujet, le quotidien Jahan-eh Sanat qui a publié ces déclarations, a été fermé.
[7] « L’analyse de Zibakalam sur les dysfonctionnements de la gestion de la crise du Corona dans le pays », fararu.com, 30 septembre 2020.
[8] « Les critiques de Abbas Abdi au gouvernement au sujet du Corona », Aftab News, 30 mars 2020. La ville de Khom est un des plus importants centres du chiisme en Iran et dans le monde.
Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.