20.11.2024
« Les agriculteurs, soldats de la sécurité alimentaire mondiale »
Presse
24 septembre 2020
Vous signez avec Pierre Blanc, lui aussi spécialiste de la géopolitique, un livre sur la géopolitique de l’agriculture. Quel est l’objectif de ce livre ?
L’objectif est de rappeler que les questions agricoles et alimentaires ont toujours, été centrales dans la sécurité et la stabilité des territoires. Et c’est tout à fait normal : même si tout change sur la planète depuis le début de l’histoire humaine, l’homme a toujours besoin de se nourrir pour vivre, se développer, prospérer, se déplacer et réfléchir correctement. Donc, il y a une centralité stratégique de l’alimentation pour l’individu ou pour les communautés, les sociétés, les pays et la planète toute entière. Une centralité qu’on a parfois tendance à oublier ces dernières années. Il y a parfois un certain désintérêt de nos sociétés pour les questions agricoles. L’agriculture reste pourtant au cœur des enjeux de sécurité humaine et des relations internationales.
En parcourant les 40 fiches qui composent votre livre, on découvre que vous évoquez des « bombes urbaines », les « violences », les « confrontations », les « luttes foncières », le « conflit agraire », les « victoires », « dominations », et même le « réarmement ». N’est-ce pas plutôt un livre sur la guerre ? Et les agriculteurs ne sont-ils pas au milieu d’une guerre ?
C’est vrai que tout n’est pas coopération, tout n’est pas solidarité. Même si nous revenons en effet sur des versants un peu moins paisibles de la géopolitique, nous expliquons en creux à quel point, quand la sécurité alimentaire est au rendez-vous, quand les agriculteurs sont en capacité de s’exprimer, de développer et d’apporter des solutions, la planète s’en porte mieux, les territoires et les consommateurs aussi.
Et finalement, les agriculteurs sont, en quelque sorte, des soldats engagés sur le terrain du développement et de la sécurité. Mais j’aime à rappeler qu’en fait, ce sont des agents de la paix avant tout. C’est quand ils ne sont pas performants qu’il y a des insécurités et des rivalités. Il peut y avoir des tensions et de la concurrence. Mais l’agriculteur, partout sur la planète, est le premier contributeur à la paix et à la stabilité.
Les marchés mondiaux des produits agricoles sont pourtant le théâtre d’une grande compétition mondiale entre pays producteurs…
Entre les puissances agricoles, étatiques ou privées, il y a effectivement des rivalités et de la compétition, qu’elle soit étatique ou privée. C’est d’autant plus vrai que, depuis un certain nombre d’années, certains acteurs accélèrent leurs investissements et leur influence à l’international pendant que d’autres perdent en compétitivité et s’interrogent sur l’utilité d’avoir une puissance agricole au sens premier du terme. Il y a aussi des conflits autour des ressources naturelles – l’eau et la terre – dans certaines régions du monde qu’il ne faut pas sous-estimer.
Surtout, nous avons une autre bataille planétaire à mener : celle de répondre, sur le terrain agricole et alimentaire, aux exigences sociodémographiques et environnementales. Les consommateurs sont très différents, ils ont des attentes grandissantes sans forcément avoir un pouvoir d’achat en croissance. Les agriculteurs du monde entier doivent satisfaire diverses demandes sociétales inédites qui changent très rapidement. Tout cela dans un contexte géographique climatique extrêmement complexe. On leur demande de produire plus et mieux, pour tous.
Les agriculteurs doivent être engagés également dans une dernière bataille qu’il ne faut pas sous-estimer : celle de la communication. Partout dans le monde, les sociétés ont tendance à oublier que les agriculteurs sont à côté d’eux, sont à côté des progrès de développement et de l’innovation. Nous devons tous nous souvenir que ce sont des agriculteurs et des pêcheurs qui remplissent nos assiettes. Nous avons tendance à oublier cela en Europe. Agriculteur est l’un des métiers les plus importants du monde. Et ce sera vrai encore demain.
Et la France et les producteurs français dans tout cela ?
Sébastien Abis : Après un demi-siècle de transformation, de développement et de construction d’une sécurité alimentaire qu’il faut souligner, il y a aujourd’hui en France de nouvelles réalités politiques, sociales et climatiques. On voit que le débat actuel en France se situe sur l’équilibre à trouver entre le maintien d’une performance économique et une solution de transition sur le plan de certaines pratiques, tout en conservant une capacité à répondre aux attentes des consommateurs d’ici, d’Europe et d’ailleurs. Parce que, encore une fois, la France reste une grande puissance agricole qui doit profiter de la très grande diversité de ses productions.
Comment voyez vous l’avenir de l’agriculture française dans ce contexte géopolitique tendu ?
À l’avenir, il s’agit non pas de revenir en arrière, mais d’essayer de faire mieux qu’avant. Le développement durable doit être une direction pour faire mieux demain. Ça ne doit pas être une idéologie paralysante pour revenir à des pratiques anciennes qui ne pourront pas suffire à satisfaire des enjeux contemporains. Pour y parvenir, nous avons besoin d’avoir des agriculteurs qui proposent des systèmes hyper-intensifs en savoirs et en connaissances.
Quelles sont, selon vous, les principales menaces pour la filière céréalière française ?
Sébastien Abis : Pour les céréales françaises, la principales menace réside dans les difficultés à faire perdurer la filière. Ces dernières années, nous avons eu des années de très bonnes récoltes, mais aussi des années dégradées parce que les conditions climatiques ont empêché d’avoir de bons rendements. Certains céréaliers voient leurs revenus très fragilisés, menaçant la pérennité de leur structure économique.
Ceci dit, cette filière est capable d’aller de l’avant, d’innover et de continuer à être performante. Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. Au contraire, il y a aussi des atouts : une grande diversité de production céréalière, des liens très forts avec nos clients historiques.