17.12.2024
Quand la nuit tombe sur l’East River
Correspondances new-yorkaises
30 septembre 2020
Mi-septembre, comme tous les New-Yorkais le savent, il vaut mieux éviter le quartier de Turtle Bay qui borde l’East River et où se situe le building des Nations unies. C’est le moment le plus attendu dans l’agenda diplomatique mondial, presque tous les dirigeants de la planète se ruant pour s’exprimer à la tribune de l’Assemblée générale.
Rien de tout cela en 2020.
Il n’y aura pas eu cette année de rencontres impromptues entre chefs d’État ou de gouvernements dans les couloirs trépidants et normalement bondés du siège des Nations unies.
On ne se sera pas non plus émerveillé ou énervé devant les interminables cortèges présidentiels défilant sur la 1re avenue…
À l’heure de la pandémie de Covid-19, l’ONU a tenté de s’adapter. Cela a été sinistre.
Les Trump, Macron, Poutine ou Xi ont brillé par leur absence, se contentant de vidéos préenregistrées, tandis que les États-Unis imposaient unilatéralement de nouvelles sanctions à l’Iran.
Bien triste façon de célébrer le 75e anniversaire de l’Organisation internationale. Bien triste façon, oui, mais qui reflète tellement la réalité.
Le poids politique de l’ONU est aujourd’hui quasiment nul. Son secrétaire général n’a plus aucune influence sur la scène internationale. Depuis près de 15 ans, aucun des patrons de l’ONU n’a pu ou voulu s’impliquer personnellement dans l’une des grandes crises mondiales. Le mandat d’António Guterres est unanimement considéré comme un échec. On ne l’a pratiquement pas entendu lorsque Trump a quitté la COP 21, l’accord sur le nucléaire iranien, l’OMS… Les chefs d’États et de gouvernements actuels sont issus d’une génération qui n’a pas connu la Seconde Guerre mondiale. Ils ne voient plus l’intérêt de ce genre d’organisation et préfèrent s’exprimer de façon bilatérale ou dans des réunions comme le G20 ou le G8, ou autour d’ensembles régionaux qui regroupent des États avec des intérêts communs ou similaires.
Preuve en est de leur désintérêt pour la maison de verre, personne ne s’est donné la peine, au-delà des vidéos préenregistrées parfois dix jours auparavant, d’organiser pour ce mois de septembre des débats ou des rencontres de très haut niveau via visioconférences comme cela se fait, par exemple pour l’Union européenne, en cette période de pandémie…
À l’hebdomadaire L’Express qui m’interrogeait il y a quelques jours sur un potentiel rebond de l’ONU, je répondais :
« Je ne crois pas que cela arrivera, car je ne pense pas que nous assisterons dans un avenir proche à un sursaut important en faveur du multilatéralisme. Les organisations comme l’ONU doivent leur naissance à de grands chocs internationaux. Ainsi après la Seconde Guerre mondiale, on a créé les Nations unies pour éviter que le monde ne connaisse une troisième guerre mondiale. Seuls les chocs de ce type sont de nature à entraîner une véritable renaissance des institutions internationales.
La crise du Covid-19 aurait pu entraîner une nouvelle prise de conscience en faveur du multilatéralisme, mais ça n’a pas été le cas. Chaque pays mène sa politique dans son coin, ou au niveau bilatéral, au mieux régional. Absolument pas au niveau international. La crise sanitaire n’a pas aidé à une résurgence du multilatéralisme et n’aidera pas à un rebond de l’ONU. »
On pourrait même se demander si l’ouverture de cette 75e session de l’Assemblée générale n’aura pas été la dernière pour les États-Unis. Si Trump est, comme je le crois possible, réélu, il est tout à fait probable qu’après les agences et programmes onusiens il s’attaque directement au vaisseau amiral.
Irait-il jusqu’à exiger un départ des États-Unis de l’ONU ? Je ne sais pas. Mais l’hypothèse d’un retrait provisoire pour une durée indéterminée est aujourd’hui plus qu’un simple sujet de politique-fiction.
Si on en arrivait là, le Donald aurait alors, en bon fossoyeur du multilatéralisme qu’il est, parachevé son travail.
Il est assez ironique de penser que, dans le cas de ce scénario, ce serait sous l’impulsion de l’Empire du Milieu qu’un nouveau système multilatéral pourrait éventuellement voir le jour. Un système, cette fois-ci non plus inspiré par des visionnaires comme Roosevelt ou Churchill, mais par le bureau politique du Parti communiste chinois.
« Malgré toutes les critiques qui lui sont faites, l’ONU ne reste-t-elle pas la dernière soupape du monde ? Une organisation où les différents pays peuvent encore tenter de dialoguer et de s’entendre ? », me demanda le journaliste de L’Express en guise de conclusion à notre entretien.
« Bien sûr », lui ai-je répondu, « et c’est la raison pour laquelle il est important de défendre les Nations unies. Malgré toutes les critiques que l’on peut faire à l’ONU, elle demeure la seule plateforme où certains échanges peuvent être organisés, et où un semblant de parlement du monde existe grâce à l’Assemblée générale.
Par ailleurs, ajoutai-je, elle a prouvé son utilité et son efficacité dans le domaine des droits de l’homme, de l’humanitaire, de la protection des droits des femmes et des enfants, grâce à des programmes comme l’UNICEF, le PNUD, ou le Haut-commissariat pour les réfugiés.
Mais fondamentalement, l’ONU n’est que ce que ses États membres, et essentiellement les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, veulent bien en faire. Et de ce point de vue là, il est très peu probable qu’elle parvienne à se réformer et à échapper à un long déclin sur la scène politique internationale. »
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.