18.12.2024
L’Iran sous le feu des sanctions américaines
Interview
25 septembre 2020
En 2015, l’Iran signait avec le P5+1 les accords de Vienne sur le nucléaire iranien, levant ainsi les sanctions onusiennes prises à son égard. En 2018, l’Administration Trump révoquait unilatéralement l’accord et remettait en vigueur des sanctions contre l’Iran, avant de décider seul en septembre 2020 du rétablissement des sanctions onusiennes. Entretien avec Thierry Coville, chercheur de l’IRIS, spécialiste de l’Iran.
Quelles valeurs ont les dernières sanctions contre l’Iran décidées par Donald Trump ?
En plus des sanctions de 2018, qui empêchent notamment l’Iran d’exporter son pétrole, les États-Unis ont demandé l’application du snapback, c’est-à-dire le rétablissement de toutes les sanctions de l’ONU datant d’avant l’accord sur le nucléaire de 2015, sanctions qui concernaient en partie les entreprises qui collaboraient avec le programme nucléaire iranien.
Sur le plan diplomatique, Donald Trump, en pleine campagne, adresse un message à son électorat. Cette décision est donc avant tout guidée par une question de politique intérieure, sachant que ce dossier est très important pour le président-candidat. Il montre ainsi sa détermination et sa volonté de poursuivre sa politique de « pression maximum » contre l’Iran sans concessions vis-à-vis de la communauté internationale. Depuis son élection, la stratégie de Trump a consisté à sortir de l’accord de 2015 et de forcer les Iraniens à le renégocier. Ce n’est pas maintenant que le président américain va reconnaître que sa stratégie ne fonctionne pas.
Ces décisions de remettre en place les sanctions onusiennes sont illégitimes et critiquées par les Européens, les Russes, les Chinois. Ces pays considèrent avec raison que les États-Unis ne peuvent pas être sortis de l’accord sur le nucléaire en mai 2018 et considérer qu’ils sont toujours dans cet accord, ce qui leur donne le droit de demander l’application du processus de snapback.
Malheureusement, ces sanctions risquent d’être efficaces. En effet, les États-Unis menacent toutes les entreprises qui violeraient les sanctions de l’ONU d’avant 2015 de ne plus avoir accès au marché américain. On a vu que ces menaces ont notamment conduit les entreprises européennes à arrêter quasiment toutes leurs activités sur le marché iranien. Cependant, à moyen terme, tout dépendra du résultat de l’élection présidentielle américaine de novembre, Joe Biden ayant annoncé que s’il était élu les États-Unis reviendraient dans l’accord de 2015.
Quels sont les enjeux pour l’Iran et pour ceux qui veulent maintenir les accords de 2015 ? Ces derniers ont-ils les moyens de s’opposer aux décisions américaines ?
L’Iran pourrait se dire qu’au vu des sanctions, ils n’ont plus rien à faire dans l’accord. Les radicaux iraniens réclament depuis des mois la sortie de l’accord, ainsi que du Traité de non-prolifération. On peut d’ailleurs penser que l’objectif implicite des États-Unis, en rétablissant unilatéralement le snapback, est de pousser l’Iran à en sortir de l’accord de 2015. Une telle éventualité irait dans le sens de la stratégie de Trump qui veut une grande négociation avec l’Iran qui comprendrait un nouvel accord sur le nucléaire, et des accords sur la politique régionale de l’Iran et son programme balistique. Les dirigeants iraniens ont bien compris la stratégie américaine et font tout pour rester dans l’accord, se contentant de dénoncer les atteintes au droit international du fait des actions américaines. Les dirigeants iraniens veulent éviter notamment que des actions inconsidérées puissent donner des arguments aux États-Unis pour déclencher une guerre. Ainsi, l’Iran opte pour une grande prudence et une logique d’attentisme en attendant les élections présidentielles américaines.
Concernant la communauté internationale, il y a consensus. Les Européens, les Chinois, les Russes, et même le Secrétaire général des Nations unies sont sur la même ligne : l’accord existe toujours et démontre l’isolement américain sur ce dossier. Aussi, tant que l’Iran reste dans l’accord, celui-ci existera.
En novembre 2019 et en janvier 2020, des contestations sociales traversaient l’Iran. Où en est aujourd’hui la situation sociale et économique du pays alors que le pays est touché de plein fouet par la crise du coronavirus ?
L’Iran traverse une crise économique grave depuis 2019 avec, selon les chiffres du FMI, une baisse de 7,6% du PIB et une inflation atteignant 33,5 %. La situation de crise s’est poursuivie cette année compte tenu de l’impact du Covid-19, le FMI prévoit en 2020 une baisse de l’activité de 6 % et une inflation de 26,4 %. La monnaie a continué à se dévaluer ces derniers mois. Les conséquences sociales sont dévastatrices avec sans doute une augmentation du chômage cette année du fait de la pandémie, alors que la situation du marché du travail était déjà difficile en 2019.
On observe ici les limites de la politique des États-Unis. Leur politique de « pression maximum » ne marche pas puisque les autorités iraniennes refusent de renégocier un nouvel accord (qui inclurait donc le nucléaire, la politique régionale et le programme balistique de l’Iran). Mais c’est bien la population iranienne qui paie le prix des sanctions. Il ne s’agit pas de dire que les difficultés économiques et sociales en Iran n’ont aucune cause interne. Mais, en 2017, avant l’application des sanctions américaines, d’après le FMI, la croissance en Iran était de 3,7 % et l’inflation de 9,6 %. De plus, comme on vient de le dire, la situation de crise économique depuis 2018 a été aggravée par les conséquences économiques de la pandémie.
Le pays est sujet à de nombreuses tensions sociales, bien qu’elles ne se traduisent plus forcément par de grandes manifestations comme en 2018. La classe moyenne urbaine ne veut pas se lancer dans ce type d’aventure parce qu’elle craint que la situation en Iran devienne instable comme en Irak ou dans d’autres pays de la région, mais aussi à cause de la répression.