27.12.2024
75 ans de l’ONU : « La crise du Covid-19 n’a pas aidé à une résurgence du multilatéralisme »
Presse
23 septembre 2020
Après 75 ans d’existence, quel est le bilan de l’ONU ?
Le bilan des premières décennies est plutôt positif car l’ONU a réussi malgré la guerre froide à devenir une plateforme d’échange comme on n’en avait jamais eu auparavant : entre les différents États, mais aussi entre l’Union soviétique et le bloc occidental. Les dix premières années des Nations unies ont permis de voir émerger une structure véritablement multilatérale. Cette dynamique s’est ensuite poursuivie dans les décennies qui ont suivi jusqu’à connaître son apogée au cours des années 1980 et 1990.
Le 1er janvier 1982, Javier Pérez de Cuellar a pris ses fonctions de Secrétaire général de l’ONU et a sans doute été le dirigeant plus en phase avec sa fonction : c’est-à-dire administrer l’ONU et répondre aux souhaits des États, tout en faisant preuve d’une certaine indépendance. Il a démontré son efficacité aussi bien sur le terrain que lors de ses rencontres bilatérales avec des chefs d’État. Par exemple lors de la première guerre du Golfe en 1990, Javier Pérez de Cuellar a mené une action diplomatique très forte en se rendant à Bagdad et en rencontrant Saddam Hussein. Cela reste un moment fort de l’histoire de l’ONU, où elle avait un rôle de premier plan sur la scène internationale.
Mais à partir de 1992, cette dynamique a commencé à s’inverser alors que tout s’annonçait pour le mieux avec la fin de la guerre froide. On pensait rentrer dans la grande ère du multilatéralisme pour laquelle l’ONU avait été créée, hélas les tensions entre l’administration Clinton et le Secrétaire général de l’époque, Boutros Boutros-Ghali, ont conduit au renvoi de ce dernier.
À partir de 2003, la situation s’est envenimée lorsque le Secrétaire général Kofi Annan a déclaré que la guerre d’Irak menée sous l’administration de George W. Bushétait illégale. Et progressivement, l’ONU n’a plus été considérée par les États-Unis comme un outil adapté à leur politique étrangère. Elle a alors commencé sa lente disparition de la scène internationale, qui se poursuit aujourd’hui sous le mandat d’Antonio Guterres. Il découle de cet affaiblissement une forte limitation de l’impact des actions menées par l’ONU, qui peine aujourd’hui à exister sur la scène internationale.
On voit en effet ces dernières années que son action a eu un impact assez limité face à certaines crises que traverse le monde : comme dans le cas de la crise syrienne, ou actuellement la pandémie de Covid-19, pour ne citer qu’elles. L’ONU a-t-elle encore les moyens de jouer un rôle de premier plan ?
Je ne crois pas, car je ne pense pas que nous assisterons dans un avenir proche à un sursaut en faveur du multilatéralisme. Les organisations comme l’ONU doivent leur naissance à de grands chocs internationaux. Ainsi après la Seconde Guerre mondiale, on a créé les Nations unies pour éviter que le monde ne connaisse une Troisième Guerre mondiale. Seuls les chocs de ce type sont de nature à entraîner une véritable renaissance des institutions internationales.
La crise du Covid-19 aurait pu être une prise de conscience en faveur du multilatéralisme, mais pour le moment ça n’a pas été le cas. Au niveau international chaque pays mène sa politique dans son coin, ou au niveau bilatéral, voire régional. Donc la crise du Covid-19 n’a pas aidé à une résurgence du multilatéralisme et n’aidera pas à un rebond de l’ONU.
Dans ce contexte, je pense que nous allons assister de plus en plus au déclin des Nations unies et du multilatéralisme. L’ONU risquerait alors de n’être plus qu’une coquille vide, ne servant essentiellement qu’à travers ses missions humanitaires, et peut-être parfois quelques actions de maintien de la paix.
L’ONU souffre-t-elle aussi particulièrement de l’unilatéralisme des États-Unis sous la présidence de Donald Trump ?
Oui et non, car comme nous l’avons évoqué, l’affaiblissement de l’ONU remonte à bien avant la présidence de Donald Trump. En revanche, il est clair que Donald Trump a aggravé la crise du multilatéralisme. S’il n’est pas réélu le 3 novembre prochain et que Joe Biden devient président, il est évident que les rapports des États-Unis avec l’ONU vont s’améliorer. Mais malgré tout, cela ne changera pas la tendance de fond qui était à un affaiblissement de l’ONU depuis plusieurs années. On peut noter par exemple que sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis ont continué à négliger l’ONU.
Par ailleurs si Donald Trump est réélu, le résultat pourrait être catastrophique pour l’ONU. Après leur rupture avec la COP 21, leur départ du traité sur le nucléaire iranien, leur retrait de l’OMS et de l’UNESCO, il ne serait pas inenvisageable de voir les États-Unis prendre de la distance avec l’ONU pendant un certain temps.
L’ONU n’est-elle pas également paralysée par son Conseil de sécurité, au sein duquel les États-Unis, la Chine et la Russie, s’opposent leur veto résolution après résolution ?
Effectivement, c’est de plus en plus le cas ces dernières années. Mais ce qui bloque surtout le Conseil de sécurité et qui le rend anachronique, c’est le fait que celui-ci ne se soit jamais réformé et agrandi au niveau de ses membres permanents comme cela avait été envisagé pour les 60 ans de l’ONU en 2005. On avait alors pensé qu’enfin on irait vers un élargissement ouvrant la porte à un siège permanent à un pays africain, au Japon ou au Mexique. Mais face aux résistances de certains membres comme la France ou le Royaume-Uni, cela n’a jamais vu le jour.
Donc le fonctionnement du Conseil de sécurité est paralysé principalement aujourd’hui par l’hostilité entre la Chine, les États-Unis et la Russie, mais également par le manque de crédibilité de cette institution qui ne s’est jamais réformée.
Malgré toutes les critiques qui sont faites à l’ONU, ne reste-t-elle pas la dernière soupape du monde ? Une organisation où les différents pays peuvent encore tenter de dialoguer et de s’entendre…
Bien sûr et c’est la raison pour laquelle il est important de défendre les Nations unies. Malgré toutes les critiques que l’on peut faire à l’ONU, elle demeure la seule plateforme où des échanges au niveau multilatéral peuvent être organisés, et où un semblant de parlement du monde existe grâce à l’Assemblée générale des Nations unies.
Par ailleurs, elle a encore une utilité dans le domaine des droits de l’Homme, de l’humanitaire, de la protection des droits des femmes et des enfants grâce à des programmes comme l’UNICEF, le PNUD, ou le Haut-commissariat pour les droits de l’homme et les réfugiés.
Propos recueillis par Paul Véronique